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Categoria: Madeira-fr

Viagens, de João dos Reis Gomes

Le titre Viagens (Voyages) apparaît dans la littérature de voyage d’auteurs madériens comme la compilation, à titre posthume, de trois œuvres de João dos Reis Gomes, Através da França, Suíça e Itália, Três Capitais de Espanha et Através da Alemanha. La particularité de cet(ces) ouvrage(s) est comprise comme étant un (des) exemplaire(s) de la littérature de voyages d’un auteur madérien concernant des voyages effectués hors de l’espace insulaire et de l’espace portugais.

Nous croyons, à cet égard, que ce type de littérature de voyage produite par des auteurs madériens ou des auteurs éprouvant de la sympathie pour Madère qui voyagent dans des zones continentales permet, dans le cas de João dos Reis Gomes, l’ouverture d’une autre suggestion de recherche qui est la vision de l’Europe continentale par un îlien originaire d’un territoire de l’ultrapériphérie européenne actuelle. Les textes de João dos Reis Gomes suggèrent également une interprétation du phénomène touristique du début du XXème siècle, lié à des raisons religieuses, récréatives ou médicinales et thérapeutiques, ce qui est également vécu dans l’espace insulaire.

            Dans ce contexte, le témoignage de voyage d’un îlien dans un espace continental révèle une mesure de description propre à quelqu’un résidant sur une île et qui peut mesurer le monde à travers elle, ce qui permet d’envisager l’insularité comme une ouverture sur le monde.

Dans Viagens, João dos Reis Gomes, motivé par la connaissance de l’autre, offre au lecteur le regard de l’écrivain voyageur et non un simple commentaire touristique : « Il s’approprie le rythme et la technique de l’épisode et du récit historique, assurant la couleur locale, à travers un regard témoin, subjectif. Apparaît alors la catégorie de l’écrivain voyageur, avec une double fonction : être un regard qui écrit et, en même temps, un écrivain » (Mello, 2010 : 145). En ce qui concerne les trois livres qui composent le volume Viagens, nous parlons d’une expérience résultant du deuxième voyage madérien aux sanctuaires mariaux européens, d’un voyage de loisirs en Espagne et d’un voyage pour des raisons de santé et de loisirs en Allemagne.

Através da França, Suíça e Itália a été publié sous forme de livre en 1929, sur la base des chroniques de João dos Reis Gomes publiées tout d’abord dans le journal Diário da Madeira en 1926, l’année du deuxième voyage madérien. Nous pensons que le deuxième voyage madérien s’inscrit dans le contexte des grands voyages transnationaux qui se déroulent un peu dans toute l’Europe, influencés par le climat des apparitions de Fatima, la canonisation de Marguerite de Alacoque, le 13 mai 1920, par le pape Benoît XV, et l’afflux important de pèlerins à la grotte de Lourdes, phénomène de foi, facilité par des groupes catholiques.

Cependant, nous parlons d’une histoire banale parce que João dos Reis Gomes avoue qu’il ne se sent pas capable d’aborder les questions religieuses et écrit parce que ses amis lui ont demandé de le faire : « Certains amis m’avaient demandé, avec une insistance sérieuse, de leur donner quelques brèves impressions de ce voyage » (Reis Gomes, 2020 : 23). Nous croyons que l’un des plus grands points d’intérêt de ce récit de voyage est la démonstration de la pensée conservatrice de l’auteur et ses réflexions sur la politique, la société et la culture, en gardant à l’esprit que João dos Reis Gomes est militaire de formation et un îlien qui se voit devant différentes manières d’être. Ce à quoi nous pouvons ajouter une certaine admiration pour l’ordre politique italien, surtout si nous la comparons aux événements du Portugal et à la situation périlleuse de la Première République : « Le voyageur ressent la parfaite communion du peuple avec le sauveur de l’Italie [Mussolini]  » (Reis Gomes, 2020 : 157).

En tant qu’écrivain voyageur insulaire, la nostalgie (« saudade ») s’installe lors de certains épisodes de l’auteur et de sa comitive, comme c’est le cas de la comparaison avec la Côte d’Azur et les montagnes de Suisse : « Le spectacle [le paysage suisse] est, en vérité, grandiose et émouvant d’évocation. Personne n’a cessé de penser, plus vivement, à sa petite maison sur l’île majestueuse » (Reis Gomes, 2020 : 195).

En ce qui concerne Três Capitais de Espanha, il s’agit du récit d’un voyage particulier, dédié à son fils Álvaro Reis Gomes, « compagnon de ces digressions » (Reis Gomes, 2020 : 227). Le périple de l’écrivain voyageur est intimement lié à l’histoire espagnole, du nord, Burgos, en passant par Tolède, conquise par Alphonse VI, jusqu’à la ville impériale de Séville. Le témoignage de l’écrivain voyageur s’appuie sur l’art et la culture et la subjectivité de l’admiration : « Mais pourquoi j’écris alors ?! D’abord, par une imposition d’esprit ou, plutôt, de sensibilité, qui ne me permet pas de contenir les émotions captées – […] ; deuxièmement, parce que, étant donné le droit d’admirer, dans l’appréciation de tout fait, pays ou œuvre d’art, il y a toujours un certain facteur subjectif  » (Reis Gomes, 2020 : 229).

En ce qui concerne Através da Alemanha, nous sommes devant la curiosité qu’il s’agit d’un livre publié en 1949, avec les chroniques publiées en 1931, dans le journal Diário da Madeira. L’édition livresque a pour but de témoigner au lecteur de la civilisation allemande d’avant la Seconde Guerre mondiale : « seulement des éléments pour une confrontation entre le passé [1931] et le présent [1949] ; confrontation qui, aussi déchirante qu’expressive, si au moins elle pouvait contribuer – naïve utopie ! – à adoucir l’âme et à prévenir la conscience » (Reis Gomes, 2020 : 283).

Outre l’approche d’un pays éloigné de la périphérie européenne, les intérêts de João dos Reis Gomes se trouvent à Neubabelsberg, la visite du studio de l’UFA (Universum-Film Aktiengesellschaft) et la contemplation de l’art cinématographique, la remontée du Rhin (d’où il retirera une inspiration pour son livre A Lenda de Loreley, contada por um latino) et son émotion, en tant que journaliste et homme des arts, lors de son passage par le musée Gutenberg, à Mayence.

Pour tout cela, nous pensons que Viagens est un exemple de l’écrivain voyageur insulaire et de la perspective extérieure qu’il apporte au monde insulaire, de par la conscience qu’il s’agit de mondes différents et de par le phénomène du tourisme. Les thèmes abordés reflètent le fait que l’insularité appartient à un monde global, dans lequel les événements qui se produisent dans un espace et un temps donnés sont interconnectés et agissent sur plusieurs autres points géographiques, qu’ils soient de nature politique, culturelle, philosophique ou scientifique.

Paulo César Vieira Figueira

Guiomar Teixeira, de João dos Reis Gomes

Le drame historique Guiomar Teixeira, de João dos Reis Gomes, est l’adaptation au théâtre du roman historique du même auteur, A Filha de Tristão das Damas.

Publié en 1913 et mis en scène la même année au Teatro Funchalense[1], nous pensons que Guiomar Teixeira est régi par les mêmes intentions que le roman historique: se remémorer les 400 ans de l’aide du capitaine Simão Gonçalves da Câmara lors de la conquête portugaise de Safi, « La pièce a été écrite avec l’intention par un coup d’œil sur le passé de réveiller des brios endormis et, en particulier, élever la grande et fière âme madérienne » (Reis Gomes, 1914 : 11), et protester subtilement contre l’état d’autonomie administrative, accordée au district de Funchal, en 1901 : « cette pièce marque le début d’une ère de renouveau historique qui, parmi nous, atteint son apogée en 1922, avec les Commémorations du Vème  Centenaire de la Découverte de Madère » (Melo e Carita, 1988 :87) .

En suivant le script de A Filha de Tristão das Damas, l’une des plus grandes curiosités de Guiomar Teixeira est celle qui nous permet de considérer João dos Reis Gomes comme le premier dramaturge à introduire «- une première absolue au niveau national et même international – la cinématographie comme appui à la représentation théâtrale sur scène, en montrant un film dans le 4ème et dernier tableau» (Rodrigues, 2019 : 153), dans la représentation de la bataille entre chrétiens et musulmans : « la maîtrise avec laquelle il [João dos Reis Gomes] a envisagé le tableau grandiose du siège de Safi, où apparaît pour la première fois l’idée très originale de profiter du cinématographe, pour révéler immédiatement cette particularité de son talent » [2].

Dans le journal Diário da Madeira du 24 juin 1913, João dos Reis Gomes lui-même explique l’idée de la fusion entre le théâtre et le cinéma : « le théâtre, qui s’appuie sur tant d’arts, de sciences et d’industries, utiliserait ici, avec une singulière pertinence, l’une des réalisations les plus belles, les plus répandues et les plus utiles de l’optique : l’animatographe »3. En d’autres termes, la bataille de Safi, qui comprenait l’expédition de Madère, serait représentée à l’aide de la toile.

Le film est présenté comme suit : « Au loin, un paysage des environs de la ville, reproduit par le Cinématographe, où se déroule la dernière étape de la grande bataille contre les Maures qui s’est terminée par le siège de Safi » (Reis Gomes, 1914 : 79 ). Lors du passage du film muet, « O Cerco de Safim (Le Siège de Safi) », les acteurs, accompagnés d’un orchestre, font les commentaires sur scène : « Les soldats suivent attentivement, commentant dans le dialogue qui suit, toutes les particularités de la rencontre des cavaleries portugaise et maure, reproduite par le cinématographe » (Reis Gomes, 1914 : 79).

« Le siège de Safi » a ainsi été intégré à la représentation de Guiomar Teixeira. Le tournage a eu lieu le 25 mai 1913, au lieu-dit Chão da Abegoaria, Caniço, dans le but de faire partie de la pièce, comme en témoigne le journal Diário da Madeira : « Avant-hier, au lieu-dit Chão da Abegoaria, Caniço, a eu lieu le simulacre de combat entre maures et chrétiens, qui avait été annoncé, et qui sera reproduit par l’animatographe pendant le troisième intermède de la monumentale pièce historique du capitaine d’artillerie Mr. João dos Reis Gomes, Guiomar Teixeira »4.

Lors de la représentation du 28 juin 1913, Emma Trigo a joué de rôle de Guiomar et João dos Reis Gomes celui de Christophe Colomb. Les autres rôles ont été joués par Izabel de Oliveira, Maria Dulce Reis Gomes et Vieira de Castro, entre autres5. La pièce a également été représentée par la prestigieuse compagnie italienne Vitaliani-Duse, non plus « comme représentation d’amateurs » (Rodrigues, 2019 : 152), en 1914 : « Le succès de cette pièce fut tel que cette année-là [1913] la célèbre compagnie dramatique italienne Vitaliani-Duse est invitée à venir à Funchal » (Melo et Carita, 1988 : 87).

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3 Journal Diário da Madeira, 24-6-1913, p. 1, « J. Reis Gomes ‘Guiomar Teixeira’ ». Dans cet article, Reis Gomes fait connaître les conversations qu’il a eues à Lisbonne avec deux personnalités de la mise en scène pour la dramatisation de la pièce dans la capitale.

4 Journal Diário da Madeira, 27-5-1913, p. 1, « Guiomar Teixeira, ‘o combate entre mouros e christãos’, o dia de ante-hontem no Caniço ».

5 Journal Diário da Madeira, 30-6-1913, p. 1, « Noite d’arte ».

Lors des commémorations du Cinquième Centenaire de Madère, Guiomar Teixeira est à nouveau représentée, liée, une fois de plus, à l’exultation du brio madérien, lorsque les élites revendiquaient à nouveau une meilleure autonomie, dans une perspective d’amélioration socio-économique. Pour cela, ils reprennent l’âge d’or des débuts de l’archipel, camouflant les intentions régionalistes et autonomistes des élites madériennes des années 1920.

C’est ainsi que nous comprenons le rôle de Guiomar Teixeira dans cet événement. Étant donné que le Cinquième Centenaire est un événement de grande visibilité, il est logique qu’une pièce basée sur un roman historique qui, de manière déguisée, appelle à l’autonomie, soit une référence pour les festivités, en comptant sur la publicité dans les journaux canariens et sur la présence de personnalités renommées, comme Sofia de Figueiredo.

Pour nous, Guiomar Teixeira justifie une analyse séparée, car nous pensons qu’elle englobe des aspects politiques et culturels du sentiment d’insularité madérien et une contribution à la construction de ce sentiment identitaire, en abordant des points tels que l’autonomie, le régionalisme et le fait de revivre la « période la plus glorieuse et brillante de l’histoire de cette île » (Reis Gomes, 1914 : 10), bien que dans une perspective de patrie.

Le drame historique met en valeur des caractéristiques marquantes qui valident un panthéon régional distinct de l’ensemble national, mais, en même temps, partie intégrante de cet ensemble : « La construction du régionalisme cherche des fondements dans le discours scientifique, culturel et littéraire. Parallèlement à l’affirmation de ces politiques et mouvements en faveur de la région, des études locales et régionales se développent. L’Histoire locale et régionale gagne en visibilité et se différencie de l’Histoire nationale. Un panthéon de héros régionaux se construit. » (Vieira, 2018 : 20).

Guiomar Teixeira a été traduite en Italien par Virgilio Biondi, sous le titre La Figlia del Vice-Ré.

Paulo César Vieira Figueira

[1] L’actuel Teatro Municipal Baltazar Dias s’est appelé auparavant Teatro D. Maria Pia, Teatro Funchalense et Teatro Dr. Manuel Arriaga.

[2] Journal Diário da Madeira, 17-2-1913, p. 1, « A filha de Tristão das Damas e a Guiomar Teixeira (Cartas a uma senhora) II ». La deuxième partie de l’article de Braz Zinão est une contribution critique à l’appréciation de Guiomar Teixeira, louant le talent et l’inventivité de João dos Reis Gomes, comme dans le cas de l’introduction du film « O Cerco de Safim (Le Siège de Safi) ».

Romans Historiques – João dos Reis Gomes

Les romans historiques de João dos Reis Gomes représentent trois titres, A filha de Tristão das Damas (1909 et 1946), O anel do Imperador (1934) et O cavaleiro de Santa Catarina (1942), qui se concentrent sur des questions politiques, historiques et des traditions locales. Du point de vue de la technique littéraire, il ne s’agit pas de romans innovants ; ils révèlent une claire influence de la structure du modèle du roman historique romantique.

La relation de ces œuvres de João dos Reis Gomes avec l’insularité, en particulier avec la construction de l’identité madérienne, s’inscrit dans une perspective où le régionalisme et l’affirmation des régions commence à être une réalité en Europe.

Né de la réalité française, au milieu du XIXème siècle, le régionalisme a influencé la lutte pour l’émancipation de nombreuses régions, dont Madère (Vieira, 2001 : 144). L’élite intellectuelle madérienne a cherché à légitimer la lutte pour une plus grande visibilité de l’archipel, à travers la récupération de référents historiques, de traditions et de traits folkloriques soutenant cette identité insulaire : « Une classe politique, aliénée ou ignorante du passé historique, n’aura que très peu la possibilité de faire passer avec succès son discours politique » (Vieira, 2001 : 143).

La différence identitaire insulaire par rapport à l’ensemble national a commencé à être construite par les générations du début du XXème siècle, privilégiant l’Histoire, d’autres sciences et la littérature : « Ces générations, aux influences régionalistes évidentes, ont cherché, par le biais de l’histoire, de la littérature, de la science, la construction et la validation d’un panthéon régional sur lequel se fonderait une marque de différence » (Figueira, 2021 : 130) [1].

C’est dans ce contexte qu’apparaît A filha de Tristão das Damas, en 1909. Le premier roman historique madérien autodénommé a pour point central l’aide du troisième capitaine-donataire de Funchal, Simão Gonçalves da Câmara, dans la conquête de Safi par le Portugal. Ce motif sert à célébrer les 400 ans de l’intervention de Madère, comme l’un des épisodes historiques de l’archipel, ainsi qu’à présenter une critique subtile à l’autonomie administrative de 1901. La publicité concernant l’engagement de la politique étrangère portugaise à maintenir l’Empire africain est également importante. En effet, en 1946, date de la deuxième édition de l’œuvre, outre l’aspect régionaliste, c’est à nouveau l’assomption du Portugal comme puissance coloniale, hors de la sphère des puissances émergentes (USA et URSS), qui guide la publication de ce roman historique. En 1962, le roman est à nouveau publié, mais en fascicules par le journal Diário de Notícias de Funchal, dans le but de défendre la guerre d’outre-mer et de légitimer l’Empire portugais.

            O anel do Imperador raconte le passage de Napoléon à Funchal, lors de son deuxième exil, cette fois vers l’île de Sainte Hélène. La question de cet épisode historique, alliée à la visite fictive de Mademoiselle Isabel de S. à l’Empereur des Français, a créé une tradition populaire mise en scène dans le roman de João dos Reis Gomes. Derrière la fiction, il y a cependant la propagande de la figure de Salazar, dans une similitude avec l’épisode de Napoléon à Madère, cherchant à présenter la figure d’un leader politique sensible qui mérite l’acceptation de ses pairs madériens. Il convient de rappeler que, dans les années 1930, entre le gouvernement des militaires et l’ascension définitive de l’« Etat nouveau », l’épisode de la Révolte de Madère, une insurrection politico-militaire contre le gouvernement de la dictature militaire, a tendu l’atmosphère entre Madère et la capitale, en plus des lois monopolisatrices concernant la farine et le lait, qui étaient des industries importantes dans l’archipel, à l’époque.

Le salazarisme, dans son action de propagande, a cherché à accueillir les élites madériennes en son sein, dans un climat d’harmonie entre l’archipel et le Gouvernement, où l’aspect régionaliste se trouve renforcé en fonction des intérêts de la patrie.

O cavaleiro de Santa Catarina offre au lecteur un aperçu de la vie et de la légende d’Henrique Alemão, le « sesmeiro » (NdT : personne responsable de la culture ou de la répartition des terres incultes ou abandonnées) de Madalena do Mar, dont l’identité serait celle de Ladislas III, le roi de Pologne disparu à la bataille de Varna (1444).

Avec ce livre, l’auteur, outre le fait d’essayer de préserver un patrimoine endommagé par l’inondation de 1939 à Madalena do Mar, cherche à explorer le mythe du Sébastianisme, car il existe une identification claire entre la vie du roi polonais et celle de Sébastien Ier (D. Sebastião) parce que tous deux cherchent à combattre les mahométans, mais finissent par être portés disparus dans la bataille décisive, le roi polonais à Varna et le roi portugais à Ksar El Kébir.

Les circonstances de ce roman historique, l’inondation de 1939 et le mythe du Sébastianisme sont également liées au Monde portugais, en 1940, et à la célébration de la double indépendance portugaise (1140 et 1640). Une fois de plus, João dos Reis Gomes s’approprie une figure panthéiste de l’Histoire et de la tradition madériennes pour servir les intentions régionalistes et, simultanément, la patrie qui, dans une période politique difficile, au milieu de la Seconde Guerre mondiale, cherche à maintenir une périlleuse neutralité par rapport aux blocs des puissances belligérantes. La figure « sébastique », dans ce contexte, invoque, à notre avis, l’âme de la résistance nationale et le courage portugais dans une situation difficile.

Paulo César Vieira Figueira

[1] Alberto Vieira conçoit l’idée de construire un panthéon de héros régionaux dans le sens d’une différenciation entre histoire régionale et nationale : « les études locales et régionales se développent. L’Histoire locale et régionale gagne en évidence et se différencie de l’Histoire nationale. Un panthéon de héros régionaux se construit » (Vieira, 2018 : 20).

João dos Reis Gomes

João dos Reis Gomes était un militaire madérien qui s’est démarqué, dans la société de son temps, en tant qu’auteur dans des domaines tels que le journalisme, le théâtre, l’histoire, le roman, la philosophie, la musique et le cinéma. Sa formation intellectuelle est imprégnée de la période de transition entre le XIXème siècle et le début du XXème siècle, marquée par la vague d’événements qui ont eu lieu sur le Continent portugais et à Madère.

Né à Funchal, le 5 janvier 1869, où il est mort le 21 janvier 1950, il était connu sous le nom de Major João dos Reis Gomes (comme si son grade était associé à son nom) et reconnu comme professeur, écrivain et essayiste consacré, membre de plusieurs académies, comme l’Académie des Sciences de Lisbonne, et fondateur de la délégation de la Société Historique de l’Indépendance du Portugal, à Funchal. Il a presque toujours opté pour une action dans le domaine de l’intellectualité et non pas tant en termes d’exposition politique. Il a dirigé deux journaux, Heraldo da Madeira et Diário da Madeira, qui défendaient une vision régionaliste, autonomique et conservatrice, bien qu’imprégnée d’un esprit patriotique.

Personnalité faisant partie d’une génération luttant pour une meilleure autonomie de Madère, au début du XXème siècle, l’aspect insulaire, que ce soit en recourant à des thèmes chers au folklore madérien, ou à l’Histoire, fait de Reis Gomes l’un des responsables de la construction d’une identité madérienne.

Son action, liée à une perspective d’insularité fondée sur l’autonomie et le régionalisme, l’a conduit à des débats sur des questions relatives à Madère avec la création de la « tertúlia » (assemblée littéraire) « Cenáculo », la participation à la Commission d’Etude des Bases de l’Autonomie de Madère et la célébration du 500ème anniversaire de Madère, entre décembre 1922 et janvier 1923.

En tant qu’homme aux multiples facettes dans le domaine de l’écriture, nous nous intéressons particulièrement au dramaturge et au romancier, bien qu’il ait également publié des recueils de contes. Nous pensons que c’est principalement dans A filha de Tristão das Damas, O anel do imperador, O cavaleiro de Santa Catarina et Guiomar Teixeira, que nous pouvons entrevoir le lien de son écriture avec l’île et le souci de l’identité madérienne.

L’un des bons exemples de ce lien insulaire qui a guidé l’écriture littéraire de João dos Reis Gomes est le drame historique Guiomar Teixeira, adapté du roman historique A filha de Tristão das Damas, et qui réunit les attributs d’une identification insulaire et d’un cri identitaire. Cette pièce de théâtre est connue pour être considérée comme la première, au monde, à combiner, dans sa représentation, l’art théâtral et l’art cinématographique, ce mérite étant attribué au Major[1].

Dans le drame, comme dans le roman historique, le centre d’action est l’aide madérienne fournie par le donataire Simão da Câmara à la prise de Safi, sous le règne du roi Manuel I. Dans une subtile analogie avec la situation vécue à Madère pendant l’autonomie administrative de 1901, Reis Gomes cite l’exemple de la conquête de la place marocaine comme un moyen d’exposer qu’une meilleure autonomie se traduirait par une meilleure région et, par conséquent, un meilleur pays.

Afin de comprendre les intentions identitaires de Madère et de protestation contre la situation politique de l’archipel, la commission du Cinquième Centenaire a choisi comme représentation la pièce Guiomar Teixeira, ce qui nous semble une claire allusion à la divulgation du territoire insulaire. Les acteurs principaux étaient Sofia de Figueiredo, dans le rôle de Guiomar Teixeira, et João dos Reis Gomes, dans le rôle de Christophe Colomb.

De par son action, nous pouvons considérer João dos Reis Gomes comme l’un des bâtisseurs de la mémoire culturelle madérienne, en ce sens que la production littéraire de l’auteur « établit (un lien) entre hier et aujourd’hui, modelant et actualisant continuellement les expériences et les images d’un passé dans le présent, comme une mémoire générant un horizon d’espoirs et de continuité » (Antunes, 2019 : 204). Mêlée au concept de mémoire culturelle, nous trouvons la « madeirensidade » (« madériénité »), au sens où « La littérature, par exemple, contribue à la construction de la Madeirensidade », mais, en même temps, c’est aussi son devenir qui favorise l’émergence, l’affirmation et le développement de ce que nous pouvons désigner comme littérature madérienne » (Rodrigues, 2015 : 167).

À la fin du journal sur le voyage madérien de 1926, dans l’original Através da França, Suíça e Itália – Diário de Viagem, le major João dos Reis Gomes exprimait le sentiment de nostalgie par rapport à Madère, « Je suis nostalgique […]. Par moment, devant la vue de la petite terre [Madère], le souvenir de cette existence d’une beauté si grande et si variée que je viens de vivre, fiévreusement, disparaît de ma mémoire » (Reis Gomes, 2020 : 223), ce qui nous semble une déclaration d’appartenance géographique et culturelle chère à de nombreux Madériens.

Dans l’oeuvre de João dos Reis Gomes, nous soulignons : O Theatro e o Actor (1ª ed., 1905, 2ª ed., 1916), Histórias Simples (1907), A Filha de Tristão das Damas (1ª ed., 1909, 2ª ed., 1946, 3ª ed., 1962), Guiomar Teixeira (1ª ed., 1914)[2], A Música e o Teatro (1919), Forças Psíquicas (1925), O Belo Natural e Artístico (1928), Figuras de Teatro (1928), Através da França, Suíça e Itália – Diário de Viagem (1929), Três Capitais de Espanha: Burgos, Toledo, Sevilha (1931), O Anel do Imperador (1934), Natais (1935), O Vinho da Madeira (1937), Casas Madeirenses (1937), O Cavaleiro de Santa Catarina (1941), De Bom Humor… (1942), A Lenda de Loreley – Contada por um Latino (1948), Através da Alemanha – Notas de Viagem (1949) et Viagens (2020)[3].

Paulo César Vieira Figueira

[1] Le drame a été traduit en Italien par Virgilio Biondi, La Figlia del Vice-Ré, et a été joué par la compagnie italienne Vitaliani-Duse, en 1914, au Théâtre Municipal de Funchal.

[2] Guiomar Teixeira, outre la version italienne, a eu trois éditions.

[3] Selon Luís Marino, dans Panorama Literário do Arquipélago da Madeira, p. 67, nous devons ajouter à cette liste No Laboratório, Psychologia e Pathologia Cerebral (1899), écrit par João dos Reis Gomes, sous le pseudonyme de J. Règinard.

José Agostinho Baptista

« Pour toi je suis arrivé et je pars. /Ma maison est là où tu es » (Baptista, 1992 : 9). Chez José Agostinho Baptista, la dimension du lieu-île s’ouvre, à travers des énigmes personnelles, au monde du lecteur. À vocation insulaire – physique et spirituelle – le sujet se présente comme une géographie errante, mesurée par les montagnes, la mer ou le silence de la Madère primordiale. L’île se déplace comme une maison à travers d’autres mosaïques géographiques.
D’un caractère mnémotechnique accentué, le départ et l’arrivée de cette poésie seront toujours ce lieu idyllique, entre les romantiques « locus amoenus » et « locus horribilis », cohabité par la mer, par le père, par l’amour et, surtout, par le sujet-île, au sens d’un non-lieu, devenu le lieu « où tu es ». Le processus d’écriture de José Agostinho Baptista, avec une tendance à la récupération d’un modèle romantique, « n’est pas seulement le processus du sentiment ou de la mémoire, c’est le processus d’écriture elle-même qui se constitue en livre » (Magalhães, 1989 : 256).


Né à Funchal (le 15 août 1948), José Agostinho Baptista est reconnu comme l’un des poètes portugais les plus importants de sa génération. Pendant une longue période de sa vie, il a vécu à Lisbonne et a été traducteur d’auteurs incontournables, tels que W. B. Yeats ou Walt Whitman, et journaliste dans différentes rédactions de la presse de la capitale portugaise, A República et Diário de Lisboa. Auparavant, il avait collaboré avec le journal Comércio do Funchal. Il y a quelque temps, il est retourné à Madère.


Aborder José Agostinho Baptista oblige à parler de sa relation tellurique avec Madère, rarement harmonieuse, mais, en même temps, d’une évidente dépendance. Nous pensons que l’île est le chemin d’une poétique marquée par la recherche/épiphanie de l’identité du sujet, pleine de sa marque insulaire, la pulsion tellurique. Il existe une claire identification sujet poétique/île avec un voyage initiatique à travers la nostalgie d’un amour primordial, pur et souffrant.


Pour Ana Margarida Falcão Seixas, José Agostinho Baptista révèle une forte présence de la nostalgie dans son écriture qui «raconte, en divers épisodes et dans différentes dimensions narratives, l’exil d’un sujet en lui-même, corps et esprit déployés en de multiples variantes qui sacralisent le rêve, la rêverie et les vestiges du passé, fournissant l’énonciation de représentations essentiellement en termes d’absence» (Seixas, 2003 : 398), ce qui combiné à la dimension tellurique révèle le sentiment insulaire. La pulsion tellurique, verbalisée dans l’ajustement sentimental entre sujet et île, « Il était une île, le basalte sans fin » (Baptista, 1992 : 19), dimensionne la perspective de l’insularité dans des thèmes chers à la littérature portugaise, tels que l’exil, l’amour non partagé, la folie/rêverie, la nostalgie et la mémoire.


La figure du père, lié à la mémoire de l’île primordiale, est aussi un autre leitmotiv, comme c’est le cas de Agora e na hora da nossa morte, « Personne ne fait taire les fleuves orageux au fond/de mes yeux, /quand je pense aux vers, aux viscosités/qui te cherchent à travers le satin » (Baptista, 1998 : 102), une longue (non-)prière jusqu’au « Amen » final, ou dans des poèmes comme « Memória », dans Deste lado onde.


D’autres terres prennent le visage de cette île primordiale, la plus significative étant le Mexique : « Le Mexique, qui se caractérise par son essence la plus pérenne, ses dieux, ses tatouages parallèles qui, dans l’univers symbolique et métaphorique du Moi, configurent cette nouvelle terre des pères, un vaste sol de la patrie, où le Moi déploie son imaginaire, dans la perspective romantique de l’immensité et de la recréation de l’originalité de l’île première » [1].


José Tolentino Mendonça parle de la poésie de José Agostinho Baptista comme fondamentale pour comprendre Madère, « la rugosité de son temps, le ravissement démesuré du paysage, les rivières infatigables, le mystère des fruits, la vérité impuissante de son silence » [2], parce que cette « île, c’est toute la terre. Et, dans le sombre secret de son nom, elle recèle la plus significative des ambivalences » .


Parmi les livres de José Agostinho Baptista, nous soulignons : Deste lado onde (1976), O último romântico (1981), Morrer no sul (1983), Autoretrato (1986), O centro do universo (1989), Paixão e cinzas (1992), Canções da terra distante (1994), Debaixo do azul sobre o vulcão (1995), Agora e na hora da nossa morte (1998), Biografia (2000), Afectos (2002), Anjos caídos (2003), Esta voz é quase vento (2004), Quatro luas (2006), Filho pródigo (2008), O pai, a mãe e o silêncio dos irmãos (2009) et Caminharei pelo vale da sombra (2011).
La reconnaissance médiatique de son œuvre comprend des distinctions telles que : Grand Officier de l’Ordre de l’Infant D. Henrique (2001 – Présidence de la République) et la Médaille de Distinction décernée lors de la Journée de la Région Autonome de Madère (2015 – Gouvernement Régional de Madère). D’autres prix méritent d’être mentionnés, comme le Pen Club de Poésie (2003), pour Anjos Caídos, et le Grand Prix de Poésie CTT – Correios de Portugal (2004), pour Esta Voz é Quase o Vento.

[1] Paulo Figueira (2020). José Agostinho Baptista, « le sentiment de soi ». In TRANSLOCAL. Culturas Contemporâneas Locais e Urbanas, nº 5. Accès numérique : https://translocal.cm-funchal.pt/wp-content/uploads/2019/05/JoseAgostinhoBaptista-le-sentiment-de-soit5.pdf. Vd. José Agostinho Baptista, Debaixo do azul sobre o vulcão.

[2] José Tolentino Mendonça, « Um sopro, uma leve pancada no coração », in A Phala nº 81. Accès numérique : https://joseagostinhobaptista.com/a-phala.html.

Paulo César Vieira Figueira

José Tolentino Mendonça

Le poète-île qui conjugue l’enfance insulaire, les vicissitudes îliennes, la maturité d’une pensée qui interroge l’existence humaine devant ce lieu sacré, l’île physique au milieu de l’Atlantique, se présente dans Os dias contados : « Au commencement était l’île /bien qu’il soit dit/l’Esprit de Dieu/embrassait les eaux » (Mendonça, 1990 : 9).
Né à Machico, Madère (le 15 décembre 1965), ayant passé une partie de son enfance en Angola, José Tolentino Mendonça s’est distingué dans la littérature et la vie ecclésiastique. À propos de sa formation, il faut souligner ses études en Sciences Bibliques (Rome) et un doctorat en Théologie à l’Université Catholique Portugaise, où il a occupé le poste de vice-recteur et dirigé le Centre de Recherche en Théologie et Études de Religion.
Sa pensée s’est affirmée sur la scène internationale puisqu’il a été reconnu par le Vatican comme consultant auprès du Conseil Pontifical de la Culture. Dans l’exposition « Lo splendore della verità, la bellezza della carità » (« La splendeur de la vérité, la beauté de la charité »), commémorant le 60ème anniversaire de l’ordination de Benoît XVI, en 2011, Tolentino Mendonça a remis à l’Évêque de Rome le poème « O Mistério está todo na infância » (Le Mystère est tout entier dans l’enfance).
En 2018, le pape François a nommé le prêtre madérien pour diriger la retraite spirituelle du Carême, organisant la réflexion « O elogio da sede » (L’éloge de la soif), qui donnera lieu à l’œuvre homonyme O elogio da sede. Cette année-là, il est nommé Archiviste et Bibliothécaire de la Sainte Église Romaine et ordonné évêque.
Le 5 octobre 2019, le pape François a présidé le Consistoire qui a nommé 10 nouveaux cardinaux, conformément à la vocation missionnaire de l’Église. Parmi eux, Tolentino Mendonça. Déjà cardinal, en 2021, il a été nommé par le Souverain Pontife membre de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, qui accompagne la vie des communautés catholiques dans les pays dits de mission.
La production écrite de José Tolentino Mendonça se divise en celle de l’essayiste, liée à sa vocation de théologien et de penseur sur des thèmes et des textes de tradition religieuse – et au-delà – et celle du poète, dans laquelle son lien avec la mémoire, l’enfance, l’île et l’interrogation de l’être devant le monde contemplé devient incontournable.
Dans le profil du penseur essayiste, comme traducteur, réviseur et commentateur de textes, José Tolentino Mendonça participe au projet Bíblia Ilustrada (Assírio & Alvim). La perspective du penseur est très explicite dans l’introduction de la traduction de l’Hébreu du Cantique des Cantiques, illustrée par Ilda David (1997, 1ère édition). Dans l’introduction, José Tolentino Mendonça nous avertit de la pleine humilité intellectuelle et ontique de sa pensée : « Et c’est parce que nous n’avons pas peur d’énoncer le sens des mots que nous pouvons nous ouvrir à la révélation eschatologique du silence gardé en eux. Le silence de Dieu » (Mendonça, 1999 : 14).
En tant que poète, José Tolentino Mendonça est, selon la critique, l’une des voix les plus originales de la littérature portugaise actuelle. Ana Margarida Falcão Seixas soutient que Tolentino Mendonça donne au lecteur une aura mystique dans laquelle « le sujet conserve le statut d’élément intermédiaire entre le divin et le monde, mais presque toujours vu à travers une voix qui s’élève dans une question, dans une quête » (Seixas, 2003 : 418). Sa poétique s’achève autour d’interrogations, dont le motif pourra « provenir à la fois de l’évocation d’un personnage ou d’un épisode biblique et du récit de souvenirs de la pureté perdue de l’enfance presque immaculée, ainsi que du questionnement sur des épisodes de la vie quotidienne » (Seixas, 2003 : 418-9), auquel s’ajoute l’aspect insulaire, où se diffuse son sentiment poétique. Facilitée par la mémoire, la remémoration des lieux insulaires abrite, dans le souvenir subtil de l’île, la contemplation d’un lieu qui construit l’humilité intellectuelle et ontique : « L’intertextualité de sa poésie avec les écritures sacrées ne rend pas secondaire la présence de la sensualité mystique et de la réflexion sur la vie quotidienne, évoquant souvent subtilement la nostalgie de la terre natale » (Falcão, 2011 : 112).
La rencontre entre la pensée essayistique, poétique et la pulsation humaine se matérialise dans la strophe suivante de « O Mistério está todo na infância » (Le Mystère est tout entier dans l’enfance) : « Le mystère est tout entier dans l’enfance [l’île physique et spirituelle, l’île atlantique, dont la représentation est le sujet] :/il faut que l’homme suive/ce qu’il y a de plus lumineux/à la manière de l’enfant futur » [1]

Dans la bibliographie, parmi des essais et des titres poétiques, nous soulignons : Um Deus que dança, Rezar de olhos abertos, O que é amar um país, A construção de Jesus, A mística do instante, Histórias escolhidas da Bíblia, Os Dias Contados, Longe não sabia, Estrada branca, Estação central ou A papoila e o monge.
La distinction de José Tolentino Mendonça est également attestée par les prix nationaux et internationaux : Cidade de Lisboa de Poesia (1998), PEN Clube de l’Essai (2005), Res Magnae, pour les œuvres essayistes (2015), Grand Prix de Poésie Teixeira de Pascoaes APE (2015), Grand Prix APE de Crónica (2016) et le prestigieux Capri-San Michele (2017).

Paulo César Vieira Figueira

[1] In « O mistério está todo na infância »: poème de José Tolentino Mendonça pour Benoît XVI. In Secretariado Nacional da Pastoral da Cultura. Accès numérique : https://www.snpcultura.org/o_misterio_esta_todo_na_infancia_poema_jose_tolentino_mendonca_bento_xvi.html.

CÉNACULO

Le Cenáculo (Cénacle) était un groupe de tertúlia (rassemblement littéraire) qui se réunissait au Golden Gate[1], fondé par João dos Reis Gomes, le Père Fernando Augusto da Silva et Alberto Artur Sarmento. Ce groupe est devenu pertinent en raison des idées présentées, bien que, jusqu’à présent, on ne connaisse pas de procès-verbaux ou de documents officiels de la tertúlia qui nous permettent d’évaluer objectivement le débat intellectuel. Quant aux membres constituants et étant donné le faible manque de place pour l’acceptation de nouveaux éléments, Joana Góis fait état de 24 membres (Góis, 2015 : 24-25), dont le fils de João dos Reis Gomes, Álvaro Reis Gomes.

Le vicomte de Porto da Cruz témoigne également du fait que le groupe n’était pas très ouvert aux nouvelles générations : « Autour du ‘Cenáculo’ sont apparus des curieux qui n’osaient pas s’approcher d’un centre aussi restreint où, en particulier, Reis Gomes et le Père Fernando da Silva, ne voyaient pas d’un bon œil l’avènement de nouvelles valeurs  » (Porto da Cruz, 1953 : 12).

Joana Góis partage l’avis du vicomte et ajoute que la tertúlia était un mystère en termes d’action collective, mais s’exprimait très bien par le rôle de ses individualités : «  La génération ‘mystérieuse’ se réunissait en silence et est restée, avant tout, dans la sphère privée et sans expression publique de ses travaux » (Góis, 2015 : 21).

             Les éléments du Cenáculo gravitent autour de l’édition de deux journaux dirigés par le Major João dos Reis Gomes, Heraldo da Madeira et Diário da Madeira, respectivement, dont les lignes directrices abordent des sujets liés à l’autonomie, au régionalisme et à l’histoire, à la littérature, aux traditions et à la politique en rapport avec l’Archipel de Madère, le tout sous l’égide d’un certain conservatisme et patriotisme, mais qui n’empêche pas la construction et la défense d’une identité madérienne.

Nous croyons que l’action la plus remarquable du Cenáculo, en tant que collectivité, est la formation de la Mesa do Centenário (Bureau du Centenaire), dans le but de célébrer le 500ème anniversaire de Madère. Dans l’intention également d’une commémoration d’envergure nationale, l’action des membres de la Mesa do Centenário a conduit au lancement du défi de moderniser Funchal, afin de rendre digne la scène de l’événement.

Entre le Cenáculo et la Mesa do Centenário, il semble y avoir eu une transition naturelle et, sur la base des positions pensées et publiées dans le Diário da Madeira, le programme commémoratif du Centenaire de Madère a été créé. La « Génération du Cenáculo » a réussi à ajouter une assise culturelle à l’événement, déclenchant une atmosphère de conflit avec la politique de la métropole, ce qui a abouti à ce que, entre décembre 1922 et janvier 1923, Lisbonne ne s’est pas fait représenter, malgré les diverses commissions de niveau international.

Le fait s’est avéré infructueux en raison du manque de durabilité argumentative par rapport à l’identité madérienne car, selon Nelson Veríssimo, « Il y eut un manque d’intellectuels exaltant ces principes qui réunirent les volontés et encouragèrent la conduite des populations par des guides enthousiastes. » (Veríssimo, 1985 : 232). Après les festivités, les membres du Cenáculo ont également été des voix participatives au sein de la Commission d’Étude des Bases de l’Autonomie de Madère.

La ligne de pensée du Cenáculo se rapproche, d’après ce que l’on peut en juger par ses membres, par les journaux et par l’action de la Mesa do Centenário, d’une identité madérienne proche des valeurs de la patrie (peuplement portugais, exaltation de l’élément portugais) et pas tant du cosmopolitisme également présent dans le sentiment madérien2.

Les réunions et les idées du « nid d’aigle » ont continué à être la cible de critiques fascinés par le groupe : « [Reis Gomes] Venant du labyrinthe de la vue de la ville, après avoir fait son long parcours professionnel quotidien – […] – il trouvait dans la conversation intime avec des amis, réunis dans l’une des salles de l’hôtel Golden Gate, l’oasis bienfaisante pour son repos physique et intellectuel » (Vieira, 1950 : 18). Pour ce qui est de la littérature, João dos Reis Gomes et la « génération du Cenáculo » deviennent les précurseurs des intellectuels qui, dans les années 1940, voient « dans le récit de fiction à fort caractère régionaliste » la possibilité « de constituer une histoire, une mémoire, une bibliothèque, une identité culturelle forte pour les générations futures de l’île » (Santos, 2008 : 569).

Paulo César Vieira Figueira

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2 Cf. Ana Salgueiro, « Os imaginários culturais na construção identitária madeirense (implicações cultura/economia/relações de poder) », 184-204.


[1] Le Golden Gate, connu comme l’un des « angles du monde », selon les mots de Ferreira de Castro, et en raison de sa situation géographique, à proximité de la cathédrale de Funchal, du port, du palais de São Lourenço et de la statue de Zarco, est un espace de restauration célèbre qui favorise le passage de citoyens du monde entier, principalement sur sa terrasse, ce qui est encore vérifiable aujourd’hui.