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Géopoétique

En partant de l’étymologie du mot géopoétique, on observe que sa formation incorpore le préfixe de composition grec géo- qui signifie relation avec la terre, et le mot d’origine grecque poíesis qui a ensuite dérivé vers le mot latin poesis, renvoyant à l’idée de création. En ajoutant ce caractère double et intégratif à ses expériences erratiques « à la recherche de l’espace perdu »1, Kenneth White (1936-2023)2, en 1979, commence à tracer les contours de la géopoétique, comme l’attestent ses propos : « C’est donc sur la base de mes propres expériences, mais aussi à partir d’une lecture de l’histoire et sur un examen de ces trajectoires ‘erratiques’ que je viens d’évoquer, que j’ai commencé à dessiner les contours du grand champ géopoétique » (White, 2008 , 25). S’interrogeant sur la possibilité de concilier deux entités apparemment si éloignées l’une de l’autre et paradoxales, White réunit poésie et géographie dans une unité supérieure encore à révéler, précisant : « Poetry, geography – and a higher unity: geopoetics… » (White, 1992, 174)» (White, 1992, 174) – une grande unité qui interagit simultanément avec une perspective cosmique, mais vivant sur terre, déclarant « Living on the earth, with a cosmic sense, but living on the earth. (…). I don’t think we know it yet. I think if we evolved a bit more, we’d know better, we’d love better. It’s that evolution that interest me. Towards a finer earth-living » (White, 1992, 167).

Se constituant comme une grande unité réunissant poésie et géographie (du grec « écriture de la terre » ou « description de la terre »), White a été confronté à des enjeux linguistiques pour traduire ce qu’il identifiait comme « (…) the biocosmographic way from the conditioned self to open system, ex¬static existence (…) » (White, 1992, 169). Dans sa trajectoire, White a cherché à trouver « (…) live words with which to proclaim ‘the integrity of existence’ is not easy either. (. ) At every turn, we come up against problems of language. Practically everything, in ‘our’ age, is against the possibility of a clear and powerful language, able to say a presence and a transparency » (White, 1992, 169-170). Bien que White parte de l’interaction entre poésie et géographie, la géopoétique ne se limite pas à cette rencontre, affirmant :

La géopoétique n’est donc pas une rencontre sympathique entre littérature et science dans un cadre humaniste. Ce n’est pas plus un jumelage de disciplines, à l’instar, par exemple, de l’alliance, de l’alliage entre la géographie et l’hydrologie qui donne l’hydrodynamique marine. C’est encore moins une synthèse dialectique hégélienne.
Élaborant une pensée, une vision, une expression concernant le rapport entre l’être humain et la terre, la géopoétique et sui generis. (White, 2008, 16)
Dans le contexte erratique évoqué par White, l’idée de «superintellectual nomads» (White, 1992 : 175) est implicite, ce qui, à son tour, établit des liens avec l’idée de mouvement spatial et intellectuel. Présente dans les sciences humaines et sociales, l’idée de mouvement spatial propose de reconsidérer la concrétisation théorique et pratique des problèmes spatiaux, où l’espace n’est plus conçu comme absolu, mais plutôt comme relatif. La relativisation spatiale ajoute un nouvel élément à l’idée de géopoétique, qui se présente comme une théorie pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, permettant le rétablissement et l’enrichissement de la relation Homme-Terre depuis longtemps interrompue, entraînant ainsi de graves conséquences au niveau écologique, psychologique et intellectuel. En ce sens, la géopoétique permet de développer de nouvelles perspectives existentielles dans un monde réimplanté où l’espace ouvert à l’expérimentation permet de rompre avec des compréhensions magistrales du savoir et de contredire un récit univoque et universel du monde. D’autre part, la géopoétique permet aussi d’établir la pensée dans un rapport direct avec la Terre et le territoire, au lieu d’être représentée par un rapport indirect entre le sujet (connaissant) et l’objet (connu), se produisant alors simultanément le passage d’un paradigme épistémologique à un paradigme géo-poétique. Entreprenant des voyages physiques et à travers les territoires de la pensée, White construit un long itinéraire où le croisement des cultures offre de nouvelles façons de penser et de dire pour tenter de trouver et d’exprimer une relation directe et immédiate avec la Terre, comme il l’énonce : « Depuis de longues années maintenant, j’essaie de réunir les éléments d’une poétique forte et fertile, ouverte et fondatrice. En essayant de repérer des foyers d’énergie tout au long de l’histoire culturelle, en puisant partout dans la ‘poétique du monde’ et en voyageant sur le terrain, de territoire en territoire » (White, 1994, 26).


Le but de ses voyages est de pouvoir exprimer, de manière directe, l’idée de sensation-pensée née de la réconciliation avec les grands rythmes naturels. Se déplaçant d’un endroit à l’autre et faisant l’expérience de nouvelles cultures, White entend atteindre un modèle où la pensée et la Terre se rencontrent en complétude. Ce double voyage débouche sur une pensée poétique qui, sous le nom de géopoétique, transcende la rupture bimillénaire entre la pensée et le monde extérieur, puisque « (…) au-delà de tous les concepts, il s’agit du monde, d’un effort pour renouveler notre vision, en dehors des interprétations établies » (White, 1982 : 19).


Induisant à la pluralité de voix dans l’exploration de différentes théories issues de lieux géographiques, disciplinaires et culturels différents, et à la valorisation de la relation homme-Terre dans des espaces non absolus fécondés, quant à eux, par l’idée d’errance et de nomadisme intellectuel , la géopoétique accueille et consacre le principe que prône Kenneth White : « Disons, avec un rire cosmique, que le troisième millénaire sera nomade et géopoétique ou ne sera pas » (Présentation de l’Editeur, 2014, s/p.).

[1] « À la Recherche de L’espace Perdu ». Le Nouveau Territoire. L’Exploration Géopoétique de L’espace. 2008, 11­27.

[2] Poète et essayiste écossais, titulaire du cursus de Poétique du XXème siècle à l’Université Paris-Sorbonne, il a fondé, en 1989, l’Institut International de Géopoétique, qu’il a présidé jusqu’en 2013.

Susana L. M. Antunes

BIBLIOGRAPHIE
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Intimité

L’intimité a été proposée comme l’une des quatre dimensions clés de la vie sur les petites îles (avec le monopole, la totalité et le départ) (Baldacchino, 1997). Elle représente le résultat d’un contexte social restreint, dans lequel les individus ont tendance à se connaître les uns les autres dans de multiples rôles et contextes et à interagir les uns avec les autres dans plusieurs de ces rôles et contextes sur une période de temps considérable.
Les mêmes individus sont mis en contact de manière répétée dans diverses activités et circonstances. « Différents types de groupes primaires ont tendance à coïncider ou à se superposer dans une large mesure. » (Firth, 1951, p. 47). Les relations sont ce que Gluckman (1955, pp. 18-19) qualifie de « multiplex » (multiples), au sens où « presque toutes les relations sociales servent de nombreux intérêts ». Parsons (1951) a qualifié ces rapports de rôles de « particularistes » parce qu’ils sont très chargés affectivement et émotionnellement, plutôt que « universalistes », et sont fondés sur des normes et des protocoles établis qui s’appliquent à tous les niveaux et ne sont pas affectés par (ou ne sont pas sensibles à) des personnalités spécifiques. Il existe des attitudes très chargées positivement ou négativement chez les individus impliqués dans de telles relations. Elles durent également pendant une période de temps considérable. Ces relations sont personnelles et reposent généralement sur des critères d’attribution (tels que la famille, la généalogie) par opposition à des relations impersonnelles fondées sur des critères acquis (tels que la certification, le mérite).
Des sociétés de ce type se caractérisent par ce que Durkheim (1893) a nommé la « solidarité mécanique ». Dans la société à petite échelle que l’on trouve sur la plupart des petites îles, l’ensemble du champ social est petit et la plupart des relations a tendance à être personnelle. Les normes d’évaluation du rôle dépendent de qui est l’individu et non de ce qu’il fait ou de l’expérience que lui confèrent ses qualifications formelles. Par exemple, dans les affaires, les professions et le gouvernement, ce sont les relations familiales et les amitiés qui peuvent prédéterminer les attitudes positives ou négatives ; sympathies ou antipathies. L’interaction sociale n’est donc pas nécessairement régie par des considérations juridico-rationnelles, y compris l’exercice clair et manifeste de fonctions telles que vendeurs, médecins et employés de bureau. Les rôles professionnels deviennent diffus et confus lorsqu’ils doivent être vus en termes de liens de parenté et d’amitiés ; ils sont obligés de « déborder » et d’influencer d’autres sphères d’activité.
Pour des raisons similaires, les sociétés à petite échelle ont souvent des difficultés à développer un service public impersonnel, professionnel et complet. Les actions des agents publics sont susceptibles d’être perçues comme soutenant ou s’opposant à certains politiques. Le réseau « multiplex » de relations personnelles fait qu’il est extrêmement difficile pour un individu de jouer le rôle d’un agent public neutre. Il a tendance à être contraint à une partisanerie par défaut ; ou à être considéré comme partisan, même s’il fait de son mieux pour ne pas se comporter ainsi.
Dans les petites sociétés, les réseaux sont plus susceptibles de se superposer ; et les connaissances communes sont plus susceptibles d’être découvertes lors de réunions fortuites (Hannertz & Gingrich, 2017). Les relations « multiplex » (ou à plusieurs niveaux) abondent, car les gens doivent souvent jouer plusieurs rôles publics afin de répondre aux besoins en personnel d’une société complexe : que ce soit en Chine ou à Tuvalu, il faut toujours un chef d’État, un chef du système judiciaire, un chef des pompiers, un chef des services postaux, etc. (Benedict, 1967 ; Baldacchino & Veenendaal, 2018).
Compte tenu de ce champ social complexe, les citoyens des sociétés à petite échelle – y compris les petites îles – apprennent à survivre et à faire face, mais aussi à manipuler cet univers social du mieux qu’ils peuvent. D’où le recours à « l’intimité gérée » : « Les habitants des petits États apprennent à entrer en relation, qu’ils le veuillent ou non, avec les personnes qu’ils rencontreront dans une myriade de contextes tout au long de leur vie. Pour permettre au mécanisme social de fonctionner sans tension, ils minimisent ou atténuent les conflits évidents » (Lowenthal, 1987 p. 39). Il y a aussi une tendance vers une approche instrumentale pour cultiver et exploiter les réseaux et les « amis des amis ». (Boissevain, 1974). La seule issue réaliste à une telle dynamique est l’exil (ex-île).

Godfrey Baldacchino

Références

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Parsons, T. & Shils, E. (1951). Toward a general theory of action. Cambridge MA: Harvard University Press.

Théorie du Réseau D’Acteurs

L’univers social des habitants des petites unités sociales, y compris les petites îles, regorge de connexions. Celles-ci incluent les suspects évidents – la famille immédiate et les amis proches – mais aussi une myriade de connaissances, de contacts, d’anciens camarades d’école et collègues de travail. Ceci est donc commun à tous les acteurs sociaux. Ce qui rend ces liens particulièrement pertinents dans un contexte à petite échelle, c’est qu’ils peuvent être utilisés dans la recherche de besoins et d’aspirations. L’univers social des sociétés à petite échelle est fortement articulé et interconnecté : il exprime la « condition ABC » : « articulation par compression ». De plus, les acteurs sociaux d’un petit champ social se retrouvent impliqués dans de multiples rôles de sorte que leurs ensembles de rôles sont susceptibles de se chevaucher et de se croiser plusieurs fois. Ainsi, il n’est pas exceptionnel de découvrir, par exemple, des enseignants de l’enseignement primaire à l’enseignement universitaire qui ont leurs propres enfants dans leurs classes (entraînant des situations de conflits de rôles, parfois inéluctables). Il est également possible de découvrir que d’anciens camarades de classe et collègues de travail entretiennent des liens et des connexions dans le temps : seule l’émigration (exil/ex-île) est la meilleure garantie de rupture des liens avec ces anciens contacts.
Avec un champ social aussi rigide, nourri et entretenu par des « rapports particularistes » (Benedict, 1966 ; 1967) et des rôles sociaux « multiplex » (multiples) (Gluckman, 1955) où pratiquement tout rapport social sert des intérêts multiples, la voie de la satisfaction des besoins et des désirs, y compris l’accès aux biens publics ou aux ressources rares, ne doit pas nécessairement passer par des canaux institutionnels formels, mais (aussi) par des relations personnelles. Cette recherche n’est pas spécifique aux classes sociales : elle modifie simplement la nature des liens, en fonction de la classe sociale. L’élite économique est plus susceptible d’impliquer régulièrement les politiciens et leurs cadres dans l’avancement de leurs agendas. Mais les individus des classes sociales inférieures vont également construire et (chercher à) entretenir des relations avec les personnes au pouvoir, afin de pouvoir « marquer des points » en cas de besoin, ou assurer le « butin » lorsqu’il devient disponible (Buker, 2005). Les politiciens ainsi habitués cherchent souvent à plaire et à satisfaire leurs électeurs, sachant que de telles actions de leur part peuvent fidéliser les électeurs au moment des élections. Ainsi se met en place un réseau : le réseau non pas en tant que montage technique (par exemple, un réseau ferroviaire) mais dans son sens sociologique : la somme totale d’individus qui sont connus directement par une personne (zéro degré de séparation) ou par une autre connexion, comme un « ami d’un ami » (un degré de séparation) et suffisamment connus pour pouvoir être approchés avec des demandes de faveurs et d’assistance. (Que le mécène potentiel accepte ou non de faire la faveur est une autre histoire). La relation de pouvoir peut être verticale – impliquant des liens patron-client ; mais aussi horizontale, auquel cas une certaine réciprocité d’obligation peut être attendue. Barnes (1954) a démontré que vivre dans une petite société insulaire – Bremnes, Norvège, dans son cas – signifie que, même si les habitants ne se connaissent peut-être pas directement les uns les autres, ils sont pleinement convaincus que leurs réseaux sociaux se chevauchent généreusement et donc que diverses « troisièmes personnes » seront connues des deux.
Les individus dans les sociétés à petite échelle construisent instinctivement des réseaux au fur et à mesure qu’ils avancent dans la vie. Les personnes qu’ils «connaissent » bien et assez bien peuvent être approchées pour, par exemple, fournir des informations spécifiques ou accélérer des demandes qui, autrement, prendraient plus de temps à traiter en utilisant les canaux officiels normaux. L’intensité et la fréquence de telles articulations sont susceptibles d’augmenter lorsqu’il s’agit de petites politiques et juridictions démocratiques, étant donné que le nombre d’individus exerçant le pouvoir politique augmente (Lévêque, 2020) et que la personnalisation intense devient la norme (Corbett & Veenendaal, 2018).
L’analyse des réseaux sociaux part du constat que « la standardisation des liens sociaux dans lesquels s’insèrent les acteurs a des conséquences importantes pour ces acteurs » (Freeman, 2004, p. 2). Une reconnaissance précoce de ces réseaux et du rôle qu’ils jouent est donnée par Bott (1957 ; également Chambers, 1958), suivi par Boissevain (1974) dans son enquête sur le petit archipel qui forme l’État de Malte. Cette branche des sciences sociales s’est développée dans une direction structurelle et empirique, utilisant les mathématiques, la sociométrie, la « sociographie » et les « sociogrammes » pour expliquer, illustrer et conceptualiser la distance sociale, ainsi que la force et la robustesse des relations et des amitiés.
Un raffinement important et plus récent de la « théorie du réseau » est sa représentation en tant que « théorie du réseau d’acteurs » : une révision conceptuelle qui se situe dans le constructivisme social (Lei, 1992). Il est destiné à nous rappeler que les réseaux ne sont pas de simples manipulations d’individus – comme les araignées qui gèrent leur toile complexe, une métaphore courante mais partielle des réseaux – mais comprennent également des actions et des rencontres qui influencent et façonnent ces mêmes individus. La Théorie du Réseau d’Acteurs suppose que nous – en tant qu’êtres sociaux et personnalités – sommes en grande partie, sinon entièrement, la somme totale de nos relations. Cette expression n’est pas surprenante : les oiseaux de la même volée restent ensemble. Ainsi, il existe un flux d’influence bidirectionnel, bi-relationnel et multiple, où et quand les réseaux sont impliqués : celui de la demande de l’actif désiré et le traitement de cette demande ; mais aussi l’influence d’une partie de la relation sur le comportement et la compréhension de l’autre. Ainsi, en tant qu’acteurs sociaux, nous façonnons et sommes façonnés par nos réseaux.

Godfrey Baldacchino

Références
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Institution Totale

Sur les petites îles, intimité (sociale), monopole (économique) et totalité (politique) se conjuguent pour créer un tissu social bien distinct qu’il faut simplement apprendre à négocier et éventuellement à gérer pour survivre à la « vie insulaire ». Si un citoyen d’une petite île trouve cette combinaison trop oppressante, voire insupportable, la seule solution réaliste peut être l’exil (ou « ex-île » : Bongie, 1998).
Le remarquable sentiment de communauté étroite sur les petites îles s’accompagne souvent d’une présence étatique tout aussi forte, en particulier dans les petits États insulaires et les juridictions insulaires infranationales. Ubiquistes et omniprésentes, les ramifications de l’État dans les petits états et territoires insulaires sont étendues et rappellent les régimes totalitaires où le « grand frère » (ou la « grande sœur ») les surveille. Bien que la plupart des petites îles soient formellement démocratiques, la tendance au totalitarisme signifie que leurs dynamiques informelles sont souvent caractérisées par un degré important d’autoritarisme (Erk et Veenendaal, 2014). L’absence relative d’une économie dynamique du secteur privé dans de nombreuses petites juridictions insulaires signifie que de nombreux insulaires dépendront de l’État, directement ou indirectement, pour l’emploi, les concessions ou les contrats. L’emprise de l’État est si large que même la société civile, là où elle existe dans les petites îles, peut souvent s’organiser principalement pour faire du lobbying et recueillir des ressources de l’État.
Les dirigeants politiques des petits États ont tendance à rester en fonction pendant des périodes relativement longues. Pendant ce temps, ils ont tendance à dominer l’ensemble de l’arène politique : une caractéristique mise en évidence dans la « politique du grand homme» (McLeod, 2007). La faiblesse relative du parlement, de l’opposition politique, des médias et d’autres institutions qui sont censés fonctionner comme un contrôle du pouvoir exécutif implique souvent des gouvernements omnipotents de petits états. Une telle condition peut conduire à une concentration de vastes pouvoirs chez des individus isolés. Les leaders traditionnels conjuguent généralement leurs positions de leadership avec la possession d’une entreprise et la candidature à des charges d’élus, ce qui conduit à une convergence du pouvoir traditionnel, économique et politique. Le résultat de ces développements est le manque de partage du pouvoir, ainsi que l’absence de pluralisme économique et politique, ce qui peut finir par saper une gouvernance efficace (Baldacchino et Veenendaal, 2018).
Cette intensité de la présence de l’État dans la vie insulaire est exacerbée par le culte de la personnalité. Les élections font l’objet de transmissions dans les médias, de réunions et de débats télévisés, et maintenant aussi sur les réseaux sociaux, comme dans d’autres grandes juridictions. Cependant, dans les petites sociétés, le candidat et l’électeur sont plus susceptibles de se connaître personnellement : ils mettent généralement un point d’honneur à se connecter physiquement et face à face. Cette relation électeur-politicien est exacerbée et facilitée par le nombre relativement réduit de voix nécessaires pour élire un représentant d’une petite île. En effet, les parlements, même dans les petites juridictions, auront toujours un nombre minimum de membres et sont donc disproportionnellement importants par rapport à la taille de l’électorat. Ces faibles chiffres et ratios rendent les relations personnelles inévitables, et l’électeur et le candidat sont susceptibles de faire connaissance l’un avec l’autre. En effet, les petites sociétés insulaires peuvent à juste titre se targuer d’avoir l’un des taux de participation aux élections les plus élevés au monde : à Malte et en Islande, les taux de participation sont généralement de 90 % ou plus (bien que le vote ne soit pas obligatoire). Ces sociétés ne sont pas nécessairement des exemples de forte implication citoyenne et de bonnes pratiques démocratiques ; ce sont aussi des endroits où il n’est peut-être pas bon d’être vu, et donc connu, comme un non-électeur (Hirczy, 1995).
Une autre justification du rôle extraordinaire de l’État dans les petites sociétés insulaires tient à la masse critique. Cela suggère que toute société, et en particulier une juridiction, exigera un ensemble de rôles généralement remplis par l’État : un président du parlement, un commissaire de police, un juge en chef, un responsable des impôts, un autre de la poste, un ministre de la santé. Qu’il s’agisse de l’Inde (la plus grande démocratie du monde en termes de population) ou de Tuvalu (le plus petit État insulaire souverain du monde), ces rôles doivent exister dans une démocratie qui fonctionne bien. Si elles ne sont pas en mesure de distribuer ces rôles à un nombre égal de personnes, les petites sociétés peuvent conjuguer, et certaines le font, certains de ces rôles dans la description des fonctions d’une même personne. Par conséquent, « non seulement il y a moins de rôles dans une société à petite échelle, mais, en raison de la petitesse du champ social total, de nombreux rôles sont joués par relativement peu d’individus » (Benedict, 1967, p. 26).
Cette superposition de rôles peut conduire à des situations de conflit de fonctions : les mêmes individus sont mis en contact plusieurs fois dans des contextes sociaux variés et où ils jouent consciemment des rôles différents. Dans les petits systèmes sociaux insulaires, les critères par attribution dépassent les critères acquis, même dans des contextes théoriquement méritocratiques. Les camarades de classe du primaire et du secondaire se reconnectent dans l’enseignement supérieur, sur le lieu de travail, dans d’autres activités sociales, politiques et religieuses. Les amitiés peuvent durer des décennies et peuvent encourager des formes subtiles de préférence, de discrimination et de favoritisme : ce qui a été décrit comme un « familialisme amoral » (Banfield, 1958). Cependant, les rivalités dureront également toute une vie et peuvent déclencher de graves inimitiés et des relations d’antipathie rappelant les conflits de type mafieux. Ainsi, un petit insulaire va grandir dans un réseau dense de famille, d’amis et « d’amis d’amis » (Boissevain, 1974) résultant d’un « carcan de surveillance communautaire » (Weale, 1992, p. 9), et accentué par l’État et un système politique intrusif.
Il n’est donc pas étonnant qu’une petite société insulaire (ou politique) ait été décrite comme se rapprochant d’une « institution totale », terme popularisé par Goffman (1961). Dans la plupart des sociétés occidentales, il peut y avoir des frontières claires entre les lieux où – et les groupes sociaux avec lesquels – les gens travaillent, jouent, prient, se détendent, mangent et dorment. Dans les institutions totales, cependant, ces barrières et limites peuvent céder, s’effondrer ou être inexistantes. Le terme a été inventé pour désigner les asiles (institutions psychiatriques avec des détenus résidentiels), mais a été élargi pour s’appliquer à des lieux tels que les internats, les prisons ou les casernes militaires. Compte tenu de la manière dont la totalité s’applique, comme décrit ci-dessus, une petite société insulaire, et en particulier une petite juridiction insulaire, pourrait également répondre à cette définition. Après tout, dans une institution totale, «… tous les aspects de la vie sont menés au même endroit [c’est-à-dire : petite île] et sous la même autorité unique [c’est-à-dire : l’État, le gouvernement, ainsi que la société obsédée par la surveillance] » (Goffman, 1961, p. 12). Les petites îles ont été décrites différemment comme des institutions totales ces dernières années en raison de la volonté croissante de leurs gouvernements d’habiliter et de sécuriser leurs frontières : que ce soit en réponse à l’arrivée d’« immigrés sans papiers » ou comme mesure de protection proactive face à la menace du Covid-19 (Lemaire, 2014 ; Agius et al., 2021). Ce faisant, ces gouvernements poursuivent le « désir irréalisable d’insularité » (Perera, 2009, p. 1). Les centres de détention insulaires « fonctionnent comme des îles à l’intérieur des îles, comme pour accentuer et parodier le désir de contenir et d’isoler » (Mountz, 2017, p. 75).

Godfrey Baldacchino

Référence
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Spécialmisation Flexible

Toute société, et en particulier une juridiction, exigera un ensemble de rôles normalement joués par l’État : un président du parlement, un commissaire de police, un juge en chef, un responsable des impôts, un autre de la poste, un ministre de la santé. Qu’il s’agisse de l’Inde (la plus grande démocratie du monde en termes de population) ou de Tuvalu (le plus petit État insulaire souverain du monde), ces rôles doivent exister dans une démocratie qui fonctionne bien. Si elles ne sont pas en mesure de distribuer ces rôles à un nombre égal de personnes, les petites sociétés peuvent conjuguer, et certaines le font, certains de ces rôles dans la description des fonctions d’une même personne. Par conséquent, « non seulement il y a moins de rôles dans une société à petite échelle, mais, en raison de la petitesse du champ social total, de nombreux rôles sont joués par relativement peu d’individus » (Benedict, 1967, p. 26).

Pour illustrer cela avec un exemple concret, considérons le département de sociologie d’une grande université publique. L’Université York (YU), Toronto, Canada (population : 36 millions d’habitants), est un grand établissement public d’enseignement supérieur comptant plus de 55 000 étudiants. Elle emploie 41 universitaires à temps plein dans son département de sociologie (https://www.yorku.ca/laps/soci/). À l’Université de Malte (UM), la seule université publique de ce petit État insulaire (500 000 habitants), qui compte environ 12 000 étudiants, il n’y a que six universitaires à temps plein dans le département de sociologie (https://www.um.edu.mt /arts/sociology/ourstaff). Les deux départements sont censés enseigner la sociologie au niveau du premier cycle et des cycles supérieurs et diriger ou superviser des recherches de pointe dans ce domaine. Cela signifie que les sociologues de l’UM ne peuvent pas se permettre de trop se spécialiser, contrairement à leurs confrères de la YU. Certains domaines de spécialisation plus restreints qui peuvent prospérer à la YU peuvent être non demandés à l’UM. Et, parmi eux, les sociologues de l’UM sont censés élargir suffisamment leur portfolio pour pouvoir proposer un cursus suffisamment complet à leurs étudiants ; quelque chose que les sociologues de la YU n’ont pas à considérer.

Cela conduit à une situation de spécialisation flexible dans la petite île : une situation où les individus occupent des niches vacantes, vocationnelles ou spécialisées, pas nécessairement parce qu’ils sont des experts expérimentés et confirmés dans ce domaine ; mais parce qu’ils peuvent avoir des connaissances apparentées dans un domaine connexe. En tant qu’hommes et femmes « touche-à-tout polyvalents » (Bennell et Oxenham, 1983, p. 24), les spécialistes flexibles sont également plus aptes à « relier » les connaissances, gravitant plus naturellement vers des positions et des épistémologies transdisciplinaires. Bien sûr, pour couvrir une amplitude plus large, ils doivent peut-être sacrifier la profondeur. Mais une telle «profondeur» peut ne pas être aussi critique dans les petites juridictions insulaires : une quantité limitée (et non spécialisée) de connaissances dans un domaine spécifique peut être suffisante pour satisfaire les besoins de cette société. « Les petits pays [souvent insulaires] ont certainement besoin du meilleur ; mais dans les petits pays, le meilleur peut parfois être défini en termes de flexibilité et d’étendue plutôt que de profondeur » (Brock, 1988, p. 306)… même si cela peut être difficile à admettre. Prestige mis à part, il n’y a vraiment pas d’autre choix que de mettre en pratique la version affinée de ce vieil adage : être un(e) touche-à-tout, et, espérons-le, suffisamment maître (ou maîtresse) des domaines concernés (Firth, 1951, p.47 ; Jacobs, 1989, p.86). Avec le recours à la « multiplicité occupationnelle » (Comitas, 1963, p. 41), toute spécialisation, et la division du travail qu’elle suppose, reste incomplète (Shaw, 1982, p. 98). Il y a des avantages évidents à être un gros poisson dans un petit lac (Baldacchino, 1997, p. 127).

Investir dans un répertoire de compétences, de préférence des spécialisations, successivement et/ou en synchronisme, apparaît comme une stratégie rationnelle : d’autant plus que les citoyens des petites îles, au cours de leur vie professionnelle, doivent faire face à des reculs et inversions des opportunités économiques (souvent soudains), ainsi qu’à des ouvertures et des opportunités (y compris la possibilité de passer du temps hors de leur île) (Carnegie, 1982). L’élargissement et la multiplicité des rôles qui accompagnent de telles réponses comportementales à la condition de petite île sont des mécanismes de réponse astucieux pour améliorer, équilibrer et minimiser les risques dans des conditions d’expansion ou de récession : un élément central d’un « algorithme de survie centré sur la sécurité » (Brookfield, 1975 , p. 56-57). Il y a une reconnaissance tacite que chaque option est, en soi, limitée et fragile, ne suffisant pas à constituer une opération permanente et sûre. Cela se produit en raison de changements dans les goûts ou la demande des clients (en raison de l’évolution des tendances du marché), ou bien dans l’offre de talents (en raison de la facilité de substitution ou d’une concurrence accrue). Maximiser la diversité des rôles et exploiter les spécialités aussi longtemps qu’elles durent est une combinaison éprouvée et gagnante face à l’incertitude.

Des récits de vie documentés de citoyens de petites îles révèlent et illustrent souvent à quel point ces personnes sont des spécialistes et des médiateurs flexibles, opérant essentiellement « glocalement ». Prenons Isaac Caines (un pseudonyme), docker, coupeur de canne et ouvrier de St Kitts (Richardson, 1983, pp. 54-5) ; Kawagl, un agriculteur de subsistance Chimbu de Mélanésie (Brookfield, 1972, pp. 167-8) ; ou Marshy, le colporteur spécialisé dans le poisson et le bammy cuit à la vapeur, de Kingston, en Jamaïque (Wardle, 2002).

Godfrey Baldacchino

Référence

Baldacchino, G. (1997). Global tourism and informal labour relations: The small-scale syndrome at work. London: Mansell.

Benedict, B. (Ed.) (1967). Problems of smaller territories. London: Institute of Commonwealth Studies.

Bennell, P., & Oxenham, J. (1983). Skills and qualifications for small island states. Labour and Society8(1), 3-38.

Brookfield, H. C. (1972). Colonialism development and independence: The case of the Melanesian islands in the South Pacific. Cambridge: Cambridge University Press.

Brookfield, H. C. (1975). Multum in parvo: questions about diversity and diversification in small developing countries. In P. Selywn (Ed.), Development policy in small countries (pp. 54-76). London: Croom Helm. 

Brock, C. (1988). Education and national scale: the world of small states. Prospects18(3), 302-314.

Carnegie, C. V. (1982). Strategic flexibility in the West Indies: a social psychology of Caribbean migration. Caribbean Review11(1), 10-13, 54.

Comitas, L. (1963). Occupational multiplicity in rural Jamaica. In V. Garfield & E. Friedl (Eds.), Symposium on community studies in anthropology. Proceedings of the American Ethnological Society. Seattle WA: University of Washington Press.

Firth, R. (1951). Elements of social organisation. London: Watts & Co.

Jacobs, J. (1989). The economic development of small countries: Some reflections of a non-economist. In J. Kaminarides, L. Briguglio & H. N. Hoogendonk (Eds.), The economic development of small countries: Problems, strategies and policies (pp. 83-90). Delft, The Netherlands: Eburon.

Richardson, B. C. (1983). Caribbean migrants: Environment and human survival on St. Kitts and Nevis. Knoxville TN: University of Tennessee Press.

Shaw, B. (1982). Smallness, islandness, remoteness, and resources: an analytical framework. Regional Development Dialogue3(1), 95-109. Wardle, H. (2002). Marshy and friends: informality, deformalisation and West Indian island experience. Social Identities8(2), 255-270.

Degrés de Séparation

C’est une conversation créative typique de « cocktail party ». Vous êtes seul à une réception ; et une autre personne « seule » est à côté de vous. Vous ne vous connaissez pas ; mais être confinés tous les deux dans le même espace crée une obligation de se parler. L’une des manières dont deux inconnus s’engagent dans une conversation consiste – à travers une série de questions polies mais exploratoires – à scruter, sonder et taquiner une « troisième personne » qu’ils connaissent tous les deux.
Ce comportement peut se produire n’importe où. Cependant, dans un environnement à petite échelle avec une population limitée, on peut être sûr de deux choses : (1) la plupart des gens se connaîtront directement ; et (2) pour ceux qui ne se connaissent pas directement, ils sont convaincus qu’il y aura plusieurs « troisièmes personnes » qui seront connues des deux. Et il est facile et rapide de savoir qui sont ces personnes. Ce n’est qu’une question de temps, généralement quelques secondes, avant une série de questions entre A et B – quel est votre nom ; d’où êtes-vous ; quelle école avez-vous fréquentée ; où travaillez-vous – conduisant naturellement à la suggestion : « Vous connaissez C ? » qui entraîne une réponse positive. Le choix de « C » est essentiel car il illustre la position sociale de A et de B.
Ces connaissances et les jugements que les gens portent les uns sur les autres par l’intermédiaire de tiers conduisent à une meilleure compréhension des réseaux sociaux.
Ceux qui se connaissent directement bénéficient de zéro degré de séparation. Pour ceux qui ne se connaissent pas directement, mais qui viennent de petits systèmes sociaux, alors il est probable qu’ils ne sont qu’à un degré de séparation, avec au moins une (probablement plus) connaissance commune aux deux.
Ces observations sont évidentes pour les citoyens de sociétés à petite échelle (souvent insulaires) ; pas tant pour les citoyens d’environnements plus vastes où le concept d’un parfait étranger est à la fois réel et possible. De plus, étant donné l’intense personnalisation et le besoin de « gestion de l’intimité » (Lowenthal, 1987) dans les environnements de petits États, il faut s’attendre à ce que la plupart des individus dans ces sociétés cherchent à établir des relations directes avec « ceux qui comptent », y compris ceux qui occupent la plus haute fonction : rien d’autre que « zéro degré de séparation » ne serait suffisant. De telles relations, menant potentiellement à des relations accueillantes, seraient attendues par les élites politico-économiques et leurs groupes de pression dans les grands pays ; dans les petites sociétés démocratiques (y compris les îles), elles peuvent se matérialiser dans une partie importante de la population en général.
D’où la perception que les gens dans les sociétés à petite échelle sont, au mieux, à zéro degré de séparation les uns des autres ; et, au plus, à un degré de séparation les uns des autres. En termes plus simples : l’idéal serait que tout le monde connaisse tout le monde ; mais là où ce n’est pas le cas, tout le monde peut encore connaître quelqu’un qui connaît tout le monde. Ceci est documenté dans les travaux de l’anthropologue Joseph Barnes et son travail de terrain sur l’île de Bremnes, en Norvège, dans les années 1950 (Barnes, 1954). Au moment de son enquête, la population de Bremnes comptait 4 600 habitants.
Il a été avancé que tous les êtres vivants sur la planète Terre sont séparés les uns des autres par six degrés de séparation au plus (Smith, 2008). Avec l’arrivée des plateformes de médias sociaux ces dernières années, la distance sociale est en moyenne tombée à moins de quatre degrés de séparation : une moyenne de 3,74 pour les utilisateurs de Facebook (Backstrom et al., 2012) ; et une moyenne de 3,43 pour ceux de Twitter (Bakhshandeh, et al., 2011).
Le « problème du petit monde » est décrit par Milgram (1967, p. 61) dans l’épisode suivant :
Fred Jones, de Peoria, assis à la terrasse d’un café à Tunis, et ayant besoin d’allumer sa cigarette, demande une allumette à l’homme à la table voisine. Les deux entament une conversation ; l’inconnu est un Anglais qui a apparemment passé plusieurs mois à Detroit à étudier le fonctionnement d’une usine de capsules de bouteille interchangeables. « Je sais que c’est une question idiote », dit Jones, « mais avez-vous déjà rencontré un type nommé Ben Arkadian ? C’est un vieil ami à moi qui dirige une chaîne de supermarchés à Detroit »…
« Arkadian, Arkadian », balbutie l’Anglais. « En fait, je crois bien que oui ! Un petit gars, très énergique, qui a fait tout un plat avec l’usine à propos d’une cargaison de capsules défectueuses. »
« Incroyable ! », s’exclame Jones avec étonnement.
« Mon Dieu, comme le monde est petit, n’est-ce pas ? »
Milgram (1967, p. 65) poursuit en rapportant que, d’après son enquête, « les chaînes allaient de deux à dix intermédiaires connus, avec la médiane à cinq ». N’importe qui semblait être capable d’atteindre une autre personne avec une moyenne de six sauts : la base empirique de l’expression « six degrés de séparation ». La fréquence, la nature et la probabilité de se rencontrer et de se rapprocher des autres, cependant, sont affectées par des aspects du patrimoine social et économique, tels que l’éducation, la richesse et la classe sociale (Kleinfeld, 2002).
Les premières preuves de l’idée qui sous-tend la notion de degrés de séparation sont un jeu enregistré dans une nouvelle de 1929 par un auteur hongrois (Karinthy, 1929). Une pièce (Guare, 1990) explore la prémisse existentielle selon laquelle chaque personne dans le monde est liée à toute autre personne par une chaîne de pas plus de six connaissances. Ainsi : « six degrés de séparation ». Une comédie dramatique américaine du même nom, réalisée par Fred Schepisi et inspirée de la même pièce, a été lancée par la Metro-Goldwyn-Mayer en 1993.

Godfrey Baldacchino


Références
Backstrom, L., Boldi, P., Rosa, M., Ugander, J., & Vigna, S. (2012, June). Four degrees of separation. In Proceedings of the fourth Annual ACM Web Science Conference (pp. 33-42). Retrieved from: https://dl.acm.org/doi/pdf/10.1145/2380718.2380723
Bakhshandeh, R., Samadi, M., Azimifar, Z., & Schaeffer, J. (2011, July). Degrees of separation in social networks. In Fourth Annual Symposium on Combinatorial Search (pp. 18-23). Retrieved from: https://www.aaai.org/ocs/index.php/SOCS/SOCS11/paper/download/4031/4352

Barnes, J. A. (1954). Class and committees in a Norwegian island parish. Human Relations, 7(1), 39-58.

Guare, J. (1990). Six degrees of separation: A play. New York: Vintage.

Karinthy, F. (1929). Chain Links. In: Everything is different. Retrieved from: http://vadeker.net/articles/Karinthy-Chain-Links_1929.pdf

Kleinfeld, J. (2002). Could it be a big world after all? The six degrees of separation myth. Society, 12, 5-2. Retrieved from: https://www.cs.princeton.edu/~chazelle/courses/BIB/big-world.htm

Lowenthal, D. (1987). Social features. In C. Clarke & T. Payne (Eds.), Politics, security and development in small states (pp. 26-49). London: Allen & Unwin.

Milgram, S. (1967). The small-world problem. Psychology Today, 1(1), 61-67.

Smith, D. (2008, August 3). Proof! Just six degrees of separation between us. The Guardian (UK). Retrieved from: https://www.theguardian.com/technology/2008/aug/03/internet.email

Filmographie

Six Degrees of Separation (1993). Produced by Fred Schepisi. Trailer at: https://www.imdb.com/video/vi3416524057?playlistId=tt0108149&ref_=tt_pr_ov_vi and at https://www.youtube.com/watch?v=IBO1Sr14eQQ

Personnalisation

Les petites sociétés, souvent insulaires, ont été décrites comme sujettes à une forte personnalisation : cela signifie que leur vie sociale, économique et politique peut être fortement impactée et guidée par des décisions prises par et pour des personnes qui se connaissent.

Des sociologues classiques, que ce soit Comte, Durkheim, Tönnies ou Weber, ont supposé que la marche vers la modernité était universelle, imparable et à sens unique : les pratiques des sociétés rurales et traditionnelles finiraient par céder la place à un comportement plus scientifique, rationnel et laïc ; et que les critères «par attribution » qui régissaient le statut et la position sociale dans ces sociétés – des questions telles que la lignée, la famille, la tribu ou la race – seraient progressivement remplacés par des critères « acquis » – tels que le mérite, les qualifications et l’expérience (par exemple Foner, 1979 ). Ce mouvement s’est produit avec la marche inexorable de l’urbanisation, de l’institutionnalisation et de la mondialisation. Cependant, la transition a été complexe : le népotisme existe toujours et est régulièrement exposé dans des scandales. Alors que, dans d’autres cas, la poussée vers la modernité s’est même inversée : les petites sociétés « en face à face » persistent ; et il y a beaucoup de « réfugiés du style de vie » qui sont désireux et capables de quitter la métropole anonyme et sa  « foule solitaire » (Reisman et al., 1961) et qui, à la place, s’établissent à nouveau dans de petites communautés insulaires où les enfants peuvent grandir en toute sécurité, entourés de leur famille et des voisins soucieux de se connaître et de prendre soin les uns des autres (Baldacchino & Starc, 2021).

Lorsque David Weale de l’Île-du-Prince-Édouard, au Canada, (population : 150 000), parle de grandir « dans un corset de surveillance communautaire » (Weale, 1992, p. 9), il fait référence à la fois au confort et à la protection offerts par ce régime de sécurité organique, mais aussi à sa présence oppressante.

« L’hyperpersonnalisation » est particulièrement active dans les petites juridictions (Veenendaal, 2014 où « tout le monde connaît tout le monde » (Corbett, 2015), où les couches de gouvernement sont minces et locales, où l’État est doux et transparent et où les décideurs sont connus et ne peuvent pas se cacher dans l’ombre des cadres politiques ou bureaucratiques, pour le meilleur ou pour le pire.

Corbett & Veenendaal (2017, p. 31) proposent six dimensions de personnalisation dans la sphère politique : (1) une forte connexion entre les leaders individuels et les électeurs ; (2) une sphère privée limitée ; (3) un rôle limité du débat idéologique et concernant les politiques programmatiques ; (4) une forte polarisation politique ; (5) l’omniprésence du clientélisme ; et (6) la capacité des leaders individuels à dominer tous les aspects de la vie publique. Ces dimensions sont importantes dans les petits systèmes politiques (souvent insulaires) et où les acteurs politiques et leurs électeurs peuvent chercher et cherchent effectivement à se rencontrer et à développer des relations personnelles. Ce comportement est rendu plus possible et plausible lorsque le nombre de voix nécessaires pour élire un homme politique est faible. La personnalisation peut également expliquer le taux de vote élevé dans les petites juridictions, où il n’est pas nécessaire d’encourager le vote en infligeant une amende à ceux qui ne votent pas : dans ces endroits, les citoyens individuels ne peuvent pas se permettre de ne pas voter (Hirczy, 1995).

Dans les sphères sociale et économique, la personnalisation est également encouragée par la robustesse et la résilience des réseaux familiaux, de parenté et d’amitié. Les connexions s’entremêlent dans des obligations difficiles à écarter ; et il sera difficile de résister à l’attente de faire passer la « famille d’abord », avec de graves conséquences. Les lieux de travail, en particulier, seront occupés par des travailleurs qui ont des relations entre eux, qui auront des sympathies ou des antipathies les uns envers les autres, qui font partie d’un réseau de  « vieux amis» ou de «vieilles amies »… et ces dynamiques informelles ne seront pas toujours évidentes pour leurs supérieurs, à leur désespoir et à leur frustration (Baldacchino, 1997).

La personnalisation fait face, manipule et infecte la pratique des institutions qui, par définition, doivent être justes en étant anonymes. Les institutions doivent travailler avec des principes de légalité et de rationalité, où ceux qui exécutent les tâches sont recrutés et nommés sur la base de paramètres contractuels, garantis et/ou accrédités. Mais ce n’est pas toujours le cas, bien que des mesures extrêmes puissent être prises pour maintenir cette exigence. Un problème survient lorsque, par exemple, il est nécessaire d’embaucher une personne possédant un ensemble de qualifications précises, mais que cette personne est censée « respecter les étapes » que l’institution exige en termes de processus d’embauche : par exemple, la soumission d’une candidature, la sélection, l’entretien, le remplissage de documents, les examens médicaux, etc. – pour être recrutée.

Godfrey Baldacchino

Références

Baldacchino, G. (1997). Global tourism and informal labour relations; The small-scale syndrome at work. London: Mansell.

Baldacchino, G., & Starc, N. (2021). The virtues of insularity: Pondering a new chapter in the historical geography of islands. Geography Compass, 15(12), e12596.

Corbett, J. (2015). « Everybody knows everybody »: Practising politics in the Pacific Islands. Democratization, 22(1), 51-72.

Corbett, J. & Veenendaal, W. (2017). The personalisation of democratic leadership? Evidence from small states. Social Alternatives, 36(3), 31-36.

Foner, A. (1979). Ascribed and achieved bases of stratification. Annual Review of Sociology5(1), 219-242.

Hirczy, W. (1995). Explaining near‐universal turnout: The case of Malta. European Journal of Political Research27(2), 255-272.

Riesman, D., Glazer, N., & Denney, R. (1961). The lonely crowd: A study of the changing American character. New Haven CT: Yale University Press.

Veenendaal, W. (2014). Politics and democracy in microstates. London: Routledge.

Weale, D. (1992). Them times. Charlottetown, Canada: Acorn Press.

Conflit de Fonctions

Le fonctionnalisme structurel est une branche particulière de la sociologie qui examine mécaniquement la structure sociale et explique sa cohérence et sa persistance dans le temps. Il peut être décrit comme une école de pensée dans laquelle la société est conçue comme un mélange d’institutions, de relations, de fonctions et de normes. Chacun sert un objectif spécifique et chacun est essentiel à l’existence continue des autres et de la société dans son ensemble. Dans ce modèle d’ordre social, une fonction est une étiquette d’identité qui attribue aux individus des places et des pouvoirs spécifiques au sein du système social ; des lieux et des pouvoirs qui, à leur tour, sont reconnus par d’autres qui appartiennent à la même société. Ainsi : un enseignant dans une classe est censé enseigner, corriger et noter des devoirs ; et de donner des conseils académiques ; tandis que l’élève est censé apprendre ; suivre les instructions du professeur ; faire des devoirs ; et ainsi de suite. Chaque personne dans la société est censée remplir diverses fonctions – par exemple, celle de parent, d’enseignant, d’ami, de voisin, d’activiste politique, de membre de club, de client de supermarché, de passager de bus, etc. – formant conjointement un ensemble de fonctions. Pour chaque fonction, les gens entrent généralement en relation avec différents membres de leur société.

Il n’y a là rien de spécifique aux petits systèmes sociaux. Ce qui devient significatif, c’est que, avec des systèmes sociaux plus petits, la probabilité de fonctions qui se chevauchent augmente. Si vous montez dans un bus en tant que passager, mais que le conducteur est votre oncle ; si vous donnez des cours à une classe, mais que l’un des élèves est votre cousin ; si vous travaillez dans une banque, mais qu’un des employés est votre partenaire… Les membres qui sont «chez eux » par rapport à une fonction spécifique sont également membres de leur(s) autre(s) fonction(s). Les probabilités que cela se produise augmentent avec la pratique de la multiplicité de fonctions, une fonction de la spécialisation flexible. Lorsque ces situations se présentent, les normes, les responsabilités et les comportements attendus par la complémentarité des rôles (conducteur-passager ; enseignant-élève, etc.) peuvent être diffus et devenir indéterminés. Ces situations génèrent des conflits de rôle : elles fournissent des signaux peu clairs sur le protocole spécifique qui doit prévaloir pour les parties impliquées dans la relation. La situation est ouverte à l’exploration créative ou à l’accommodement et peut même conduire à la corruption. Ce comportement est dénoncé, bien sûr ; et il peut y avoir des stratégies qui peuvent être mises en œuvre pour empêcher ces situations de se produire en premier lieu : les enseignants ne doivent pas enseigner et évaluer leurs propres proches ; et les partenaires sentimentaux ne doivent pas travailler dans la même agence bancaire, par exemple. Mais,  en pratique, ces solutions élégantes peuvent ne pas exister, en particulier lorsqu’il n’existe pas d’alternatives disponibles.

Pour l’observateur extérieur non formé, le conflit de rôles est courant dans les petites sociétés. La nature complexe et interconnectée des amitiés et des relations peut rendre l’objectivité présumée et la base juridique-rationnelle des rôles un peu douteuse. Les étrangers peuvent être troublés par les jeux auxquels jouent les gens dans les petits systèmes sociaux : la multiplicité des rôles, par exemple, a été décrite comme une gestion de crise à la limite de la comédie (Weeks and Weeks, 1989) et une surcharge de rôles (Krone et al., 1989, p. 62), en plus du conflit de rôles (Baldacchino, 1997, p. 170). Pour ceux de l’intérieur, ce n’est que la routine de la vie dans une petite société (souvent insulaire). Les superpositions de rôles sont « compliquées » (Baldacchino, 2007, p. 7). Elles ne vont pas disparaître. Elles doivent être gérées de la meilleure façon possible ; les limites doivent être respectées et les personnes chargées de rôles doivent être ménagées pour ce qui est des embarras ou des incertitudes qui peuvent affecter leur travail et leur probité.

Le fonctionnalisme n’est plus une école de pensée dominante en sociologie. Il a été fortement critiqué pour ses faiblesses telles que sa négligence des organismes, son incapacité à s’adapter aux conflits et à expliquer de manière adéquate le changement social, et son incapacité à lutter contre les inégalités fondées sur la race, la classe ou le sexe. Pour cette raison, l’étude des rôles dans les systèmes sociaux n’est plus populaire. Cependant, la construction de « contrôles et d’équilibres » au sein ou entre les organisations tient souvent pour acquis que l’impartialité et l’objectivité professionnelle dans les relations humaines peuvent être établies. Mais les diverses manières dont les gens peuvent se connaître et se mettre en relation, avec des sympathies et des antipathies associées, dans de petits systèmes sociaux, est une donnée qui peut affecter ces relations. Les partis politiques, par exemple, peuvent dominer les trois branches du gouvernement, directement ou non, même dans les démocraties ; et pas seulement dans les petites juridictions insulaires, bien que, dans ce dernier cas, une telle situation soit plus susceptible de se produire (Baldacchino, 2012).

Godfrey Baldacchino

Références

Baldacchino, G. (1997). Global tourism and informal labour relations: The small-scale syndrome at work. London: Mansell.

Baldacchino, G. (2012). Islands and despots. Commonwealth & Comparative Politics50(1), 103-120.

Baldacchino, G. (2013). History and identity across small islands: A Caribbean and a personal journey. Miscellanea Geographica, 17(2), 5-11.

Krone, C., Tabacchi, M. & Farber, B. (1989). A conceptual and empirical investigation of workplace burnout in the food service. Hospitality Education and Research Journal, 13(1), 83-91.

Weeks, J., and Weeks, P. (1989). A day in the life of the Ministry of Education: case study Vitalu. Survival is the name of the game. Paper presented at Pan-Commonwealth meeting on the organisation of ministries of education in small states. Malta: University of Malta.

Paulo César Vieira Figueira

Paulo Figueira est titulaire d’un doctorat en Îles Atlantiques : Histoire, Patrimoine Culturel et Cadre Juridico-Institutionnel (spécialisation en Patrimoine Culturel). Il est membre intégré du CEComp et membre collaborateur du CLEPUL. Depuis sa licence, il s’est intéressé au caractère insulaire de l’identité madérienne, à travers la littérature (poésie et roman historique) et avec une pertinence particulière pour les œuvres de José Agostinho Baptista et de João dos Reis Gomes, à propos desquelles il a présenté plusieurs communications et articles. Dans le même ordre d’idées, il a cherché à étudier des écrivains capverdiens et açoriens. paulocv@sapo.pt.

CÉNACULO

Le Cenáculo (Cénacle) était un groupe de tertúlia (rassemblement littéraire) qui se réunissait au Golden Gate[1], fondé par João dos Reis Gomes, le Père Fernando Augusto da Silva et Alberto Artur Sarmento. Ce groupe est devenu pertinent en raison des idées présentées, bien que, jusqu’à présent, on ne connaisse pas de procès-verbaux ou de documents officiels de la tertúlia qui nous permettent d’évaluer objectivement le débat intellectuel. Quant aux membres constituants et étant donné le faible manque de place pour l’acceptation de nouveaux éléments, Joana Góis fait état de 24 membres (Góis, 2015 : 24-25), dont le fils de João dos Reis Gomes, Álvaro Reis Gomes.

Le vicomte de Porto da Cruz témoigne également du fait que le groupe n’était pas très ouvert aux nouvelles générations : « Autour du ‘Cenáculo’ sont apparus des curieux qui n’osaient pas s’approcher d’un centre aussi restreint où, en particulier, Reis Gomes et le Père Fernando da Silva, ne voyaient pas d’un bon œil l’avènement de nouvelles valeurs  » (Porto da Cruz, 1953 : 12).

Joana Góis partage l’avis du vicomte et ajoute que la tertúlia était un mystère en termes d’action collective, mais s’exprimait très bien par le rôle de ses individualités : «  La génération ‘mystérieuse’ se réunissait en silence et est restée, avant tout, dans la sphère privée et sans expression publique de ses travaux » (Góis, 2015 : 21).

             Les éléments du Cenáculo gravitent autour de l’édition de deux journaux dirigés par le Major João dos Reis Gomes, Heraldo da Madeira et Diário da Madeira, respectivement, dont les lignes directrices abordent des sujets liés à l’autonomie, au régionalisme et à l’histoire, à la littérature, aux traditions et à la politique en rapport avec l’Archipel de Madère, le tout sous l’égide d’un certain conservatisme et patriotisme, mais qui n’empêche pas la construction et la défense d’une identité madérienne.

Nous croyons que l’action la plus remarquable du Cenáculo, en tant que collectivité, est la formation de la Mesa do Centenário (Bureau du Centenaire), dans le but de célébrer le 500ème anniversaire de Madère. Dans l’intention également d’une commémoration d’envergure nationale, l’action des membres de la Mesa do Centenário a conduit au lancement du défi de moderniser Funchal, afin de rendre digne la scène de l’événement.

Entre le Cenáculo et la Mesa do Centenário, il semble y avoir eu une transition naturelle et, sur la base des positions pensées et publiées dans le Diário da Madeira, le programme commémoratif du Centenaire de Madère a été créé. La « Génération du Cenáculo » a réussi à ajouter une assise culturelle à l’événement, déclenchant une atmosphère de conflit avec la politique de la métropole, ce qui a abouti à ce que, entre décembre 1922 et janvier 1923, Lisbonne ne s’est pas fait représenter, malgré les diverses commissions de niveau international.

Le fait s’est avéré infructueux en raison du manque de durabilité argumentative par rapport à l’identité madérienne car, selon Nelson Veríssimo, « Il y eut un manque d’intellectuels exaltant ces principes qui réunirent les volontés et encouragèrent la conduite des populations par des guides enthousiastes. » (Veríssimo, 1985 : 232). Après les festivités, les membres du Cenáculo ont également été des voix participatives au sein de la Commission d’Étude des Bases de l’Autonomie de Madère.

La ligne de pensée du Cenáculo se rapproche, d’après ce que l’on peut en juger par ses membres, par les journaux et par l’action de la Mesa do Centenário, d’une identité madérienne proche des valeurs de la patrie (peuplement portugais, exaltation de l’élément portugais) et pas tant du cosmopolitisme également présent dans le sentiment madérien2.

Les réunions et les idées du « nid d’aigle » ont continué à être la cible de critiques fascinés par le groupe : « [Reis Gomes] Venant du labyrinthe de la vue de la ville, après avoir fait son long parcours professionnel quotidien – […] – il trouvait dans la conversation intime avec des amis, réunis dans l’une des salles de l’hôtel Golden Gate, l’oasis bienfaisante pour son repos physique et intellectuel » (Vieira, 1950 : 18). Pour ce qui est de la littérature, João dos Reis Gomes et la « génération du Cenáculo » deviennent les précurseurs des intellectuels qui, dans les années 1940, voient « dans le récit de fiction à fort caractère régionaliste » la possibilité « de constituer une histoire, une mémoire, une bibliothèque, une identité culturelle forte pour les générations futures de l’île » (Santos, 2008 : 569).

Paulo César Vieira Figueira

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2 Cf. Ana Salgueiro, « Os imaginários culturais na construção identitária madeirense (implicações cultura/economia/relações de poder) », 184-204.


[1] Le Golden Gate, connu comme l’un des « angles du monde », selon les mots de Ferreira de Castro, et en raison de sa situation géographique, à proximité de la cathédrale de Funchal, du port, du palais de São Lourenço et de la statue de Zarco, est un espace de restauration célèbre qui favorise le passage de citoyens du monde entier, principalement sur sa terrasse, ce qui est encore vérifiable aujourd’hui.

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