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Categoria: Éric Fougère-fr

Île de l’Asinara : concentré d’insularité sanitaire et pénitentiaire en Sardaigne

Avant de devenir un parc national en 2002, l’île d’une cinquantaine de km2 qui se trouve à l’extrémité nord-ouest du golfe de l’Asinara (Sardaigne) a connu toutes les formes d’enfermement qu’autorisait son isolement relatif, à quelque 500 mètres de l’îlot Piana séparé de la presqu’île de Stintino par encore un demi-kilomètre environ. Cela commence en 1885, avec la création d’une colonie pénale agricole à Cala d’Oliva, sur les hauteurs du village de l’île, et d’un lazaret de quarantaine un peu plus au sud, à Cala Reale. Les difficultés soulevées par le projet de loi présenté devant la chambre des députés par le président du Conseil et ministre de l’Intérieur Agostino Depretis : sort à faire aux pêcheurs et bergers de l’île et manque d’eau, trouvent un début de solution dans la construction d’une citerne et l’expropriation des habitants. La main-d’œuvre est formée de la population pénale amenée par convois de 10 à 40 condamnés qu’on attelle à la réalisation du lazaret jusqu’en 1897 (il ferme en 1939) et d’une nouvelle prison qui voit bientôt le jour à Fornelli dans le sud de l’île, où le territoire est divisé sous la double juridiction du ministère de la Marine et de l’Intérieur.
Entre décembre 1915 et mars 1916, avec le débarquement de 24 000 prisonniers de guerre en provenance de l’empire d’Autriche-Hongrie, la « station sanitaire », organisée pour un maximum de 1 500 malades, est dans l’incapacité de faire face au choléra qui se déclare à bord des convois maritimes en même temps que dans le camp de transit albanien de Valona. L’épidémie tue de 7 à 8 000 prisonniers répartis sur plusieurs points de l’île au gré des camps qu’on aménage à la va-vite (obligeant la colonie pénale à se concentrer dans le nord de l’île) : à Fornelli, Stretti, Campu Perdu, Tumbarino. L’emplacement de ce dernier camp servait à fournir en bois la colonie tandis qu’aux lieux-dits Santa Maria, Campu Perdu, Stretti se pratiquaient le travail agricole et l’élevage (accessoirement la pêche) : 230 hectares (en oliviers, vignes, céréales et autres cultures vivrières) ont été mis en culture au début du XXe siècle non seulement par la colonie – prison grandeur nature inspirée de celle instaurée dans l’archipel toscan sur l’île Pianosa, constituée colonie pénale en 1858, puis sur l’île de Gorgone en 1871 – mais aussi grâce à l’arrivée de 10 000 autres prisonniers de guerre après l’épidémie de choléra.
En 1937, la fille aînée du négus Haïlé Selassié, capturée par les autorités coloniales italiennes, est internée sur l’Asinara, comme le sont plusieurs centaines de personnalités d’Éthiopie durant la seconde guerre d’occupation de ce pays. Le confino politico mussolinien renoue donc avec la relegatio ad insulam de l’Antiquité romaine en internant les opposants, par mesure de police et de sûreté, sur des îles ayant tout un passé de lieux d’exil, en particulier Ponza et Ventotene dans l’archipel des îles Pontines au large du Latium, ou même Ustica, Favignana, Lampedusa, Lipari, Pantelleria, Tremiti. À l’Asinara, le tournant, dans les années 70, est celui du transfert de quelques-uns des chefs importants des Brigades rouges à la prison de Fornelli, dans le bâtiment, reconditionné pour la circonstance, où la colonie pénale agricole avait d’abord été le lieu de détention d’une cinquantaine de condamnés dont le nombre a décuplé : désormais (milieu des années 70), ils sont plus d’une centaine en réclusion dans la prison de Fornelli, le double en casa di lavoro (régime « ouvert » en journée), la petite centaine restante au gré de dix sections (diramazioni), dont Casa Bianche, la plus au nord (où sont installés des sconsegnati bénéficiant d’une semi-liberté), qui s’ajoute aux « annexes » existantes (entre autres pour crimes sexuels, à Tumbarino, trafic de drogue international, à Santa Maria).
Suite à toute une série de causes – autorité controversée du nouveau directeur de la prison (jugé puis condamné pour corruption), droit de visite et conditions de détention très sévères, plans d’évasion déjoués, rébellions plus ou moins matées, pression de la population locale et de l’opinion publique, prise en otage par les Brigades rouges encore en liberté d’un juge, à Rome, pour obtenir la fermeture du quartier de Fornelli – les activistes sont, fin 1980, de nouveau transférés ; ce qui n’empêche pas l’Asinara de continuer d’être la prison de « haute sécurité » du crime organisé (mafia sicilienne et Camorra) jusqu’à sa fermeture en 1997. Au début des années 80, Cala d’Oliva, restée prison « centrale », devient la prison « fortifiée » de Toto Riina.
Pendant plus de cent ans (dont près de quarante à réclamer la conversion de l’île en parc naturel), ce qui fait la spécificité de l’Asinara, choisie de façon presque accidentelle à côté des sept autres colonies agricoles de Sardaigne, est non seulement la combinaison de ses fonctions sanitaire et pénitentiaire mais aussi, paradoxalement (compte tenu de son éloignement), son involontaire immersion dans une histoire (guerre mondiale et de colonisation, fascisme, terrorisme et banditisme…) qui l’expose à tous les régimes, alternativement civils et militaires, en termes de discipline (ateliers de travail et colonie agricole) et de surveillance et détention (semi-liberté, réclusion, relégation, mise en quarantaine, internement dans des camps de « concentration » pour prisonniers de guerre). Et cette exposition même à l’histoire explique aussi sa récente métamorphose…
Complet retournement de paradigme en effet : de visite à l’Asinara sur un « petit train » qui caracole au gré des calas, le touriste est prié de se tenir à bonne distance des ânes qu’on y laisse entièrement libres de traverser la chaussée coupant toute l’île du sud au nord. Endémique, la race de ces ânes albinos est réputée « vulnérable » en raison de ce qui fait justement d’elle une « espèce protégée » tout en participant de cette vulnérabilité : la consanguinité. Si bien que, non content de transformer l’âne, animal à vocation domestique, en nouvel emblème insulaire estampillé « nature » (au prix d’un faux rapprochement d’étymologie probable ), on a basculé dans une axiologie de « Réserve animale » et d’attraction touristique où la station sanitaire a fait place au poste vétérinaire et l’espace carcéral à l’éden environnemental.

Éric Fougère

[1] Aucun des noms latins de l’île (Herculis Insula, Sinuaria voire Aenaria) ne permet de reconnaître asinus (i.e. âne).

COSSU A., MONBALLIU X., TORRE A. (1994), L’isola dell’Asinara, Carlo Delfino editore, Sassari.
DODERO G. (1999), Storia della medicina e della sanità pubblica in Sardegna, Aipsa edizioni, Cagliari.
GUTIERREZ M., MATTONE A., VAISECCHI F. (1998), L’isola dell’Asinara: l’ambiente, la storia, il parco, Poliedro, Nuoro.
GORGOLINI L. (2011), I dannati dell’Asinara, l’odissea dei prigioneri austro-ungarici nella Prima guerra mondiale, Utet editore, Milano.

COSSU A., MONBALLIU X., TORRE A. (1994), L’isola dell’Asinara, Carlo Delfino editore, Sassari.

DODERO G. (1999), Storia della medicina e della sanità pubblica in Sardegna, Aipsa edizioni, Cagliari.

GUTIERREZ M., MATTONE A., VAISECCHI F. (1998), L’isola dell’Asinara: l’ambiente, la storia, il parco, Poliedro, Nuoro.

GORGOLINI L. (2011), I dannati dell’Asinara, l’odissea dei prigioneri austro-ungarici nella Prima guerra mondiale, Utet editore, Milano.

L’île d’utopie

Peu de lieux dépendent autant de leur vision que les îles, où tout se passe en effet comme si chose et représentation ne formaient qu’un, par une opération qui ferait correspondre immédiatement le réel à son image. On voit l’île être au monde en même temps que naître à son intellection via tout un imaginaire. On la cerne en même temps qu’on la discerne. Une des raisons de son mythe est sa centralité. Si l’île est, dès l’Antiquité, présentée comme un nombril (omphalos), c’est non seulement parce qu’elle figure, en petit, l’Écoumène entouré d’eau mais parce qu’elle indique une origine. Or, ce berceau de l’île, où la mythologie fait naître Zeus (en Crète), Apollon (sur Délos), Aphrodite (à Cythère), est aussi le tombeau que peint Böcklin dans son Île des morts. Une idée d’origine aboutit donc à la notion de cycle. Et parler d’ombilic amène en outre à faire état du cordon qu’est l’île une fois considérée non plus dans sa singularité mais dans sa globalité d’archipel, où la centralité fait place alors au décentrement. Si bien qu’on ne finit jamais de faire le tour de l’île, à la fois totale et finie, fragmentaire et discontinue. Là se trouve une explication du succès de l’archétype insulaire : son ambivalence, ou plutôt sa réversibilité.

C’est par inversion que le vocable « archipel » (Aigaion pelagos, étymologiquement la mer Égée) désigne aujourd’hui non plus le contenant « mer » mais le contenu « îles » ou qu’inversement le mot Méditerranée ne désignait pas la mer du même nom mais, littéralement, ce qui se trouve au milieu des terres. Et c’est un peu de la même façon que l’utopie, genre impossible à dissocier de l’île avec laquelle il est né, ne peut être envisagée sans postuler simultanément sa réalité spatiale et sa fiction de lieu situé nulle part. Ou-topos, autrement dit « non-lieu ». Mais poser la négation revient – tel est son paradoxe – à la nier. Ce n’est pas que l’utopie ne soit dans aucun lieu, c’est qu’elle est le lieu de son non-lieu. C’est que son propre est d’être autre, et son nulle part un ailleurs, ou même un nulle-part-ailleurs – une réalité de fiction conditionnée par un vide où se constituera, sur un jeu de mots, le meilleur des mondes possibles (eu-topos)[1].

On sait que les pages du manuscrit censées nous informer sur les coordonnées de l’île d’Utopie de Thomas More (1516) ont disparu, que Raphaël Hythloday, voyageur et narrateur utopien du livre, est inconscient pendant son arrivée sur une terre inconnue dont, comme si cela ne suffisait pas, la quinte de toux d’un domestique empêche, au Livre I, d’entendre une première fois la position par des mots qui ne sont que chuchotés. Le lieu de l’Utopie restera sans localisation. Le récit seul, après que le narrateur aura quitté l’île, attestera de la vérité de celle-ci, par la fiction. C’est ce qui la restitue qui l’institue. L’utopie fait du discours une condition de l’espace et c’est le livre éponyme, ici, qui qualifie non seulement l’île mais aussi, bientôt, tout le genre utopique.

Un premier acte utopique est de couper l’isthme attachant la future île au continent. Ce mouvement de fondation géographique (une coupure aussitôt suivie d’une clôture) est complété par la nomination du lieu de la sorte instauré d’après le nom de son fondateur, Utopus, avec lequel elle se confond comme un lieu fondé sur ce qui le dénomme, un lieu dont la configuration se présente en amphithéâtre et constitue l’île en scène. Un détroit succède à l’isthme, inversant la continuité terrestre ancienne en solution de continuité liquide. Un rocher, « visible de très loin », réalise ensuite une réduplication par emboîtement diminutif. (Ce dispositif « en abyme » est redoublé par la mention d’un golfe « immense » en forme de « grand lac » intérieur.) Au centre de l’île (en son « nombril ») : une ville tenant lieu de capitale. Un chapelet de phares échelonné sur tout le territoire insulaire, enfin, confère à l’île une visibilité complète. « (…) l’île de Thomas More s’offre (…) tout entière comme une carte »[2].

Effet de fondation : l’île est un nouveau monde. Effet de condensation : l’île est un petit monde. Effet de réduplication : l’île est un monde en miroir. Effet de nomination : l’île est un monogramme[3]. Effet d’appropriation : l’île est rendue propre à l’accomplissement d’un pouvoir et d’un savoir. Effet de modélisation : l’île est un monde imagé qu’il importe, en tous ses points, de voir à la fois comme une carte, une scène, un tableau. Mais ce monde autre de l’île est le nôtre, un Mundus alter et idem, ainsi que le définit le titre d’une utopie de Joseph Hall écrite en 1605. « On retiendra surtout comme critère décisif de l’insularité l’obligation de penser l’île dans sa secondarité plutôt que dans sa singularité. Inséparable de la référence à ce qu’elle n’est pas, la thématique de l’île tiendrait nécessairement au lien dialectique que celle-ci entretient avec l’espace continental. »[4]

On s’explique ainsi que la bipolarité, non seulement de l’utopie (pas d’utopie sans dystopie…), mais du signifié de l’île en général (édénique/apocalyptique, érotique/érémitique, historique/idéologique, etc.) n’ait d’équivalent que sa réversibilité. Raison pour laquelle, à la notion de différence ou d’écart, on substituera la notion de neutre ou d’intervalle. Ou d’hétérotopies : « sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. »[5]

Éric Fougère

[1] Voir Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, Paris, Éditons de Minuit, 1973.

[2] Jean-Michel Racault, Robinson & Compagnie, aspects de l’insularité politique de Thomas More à Michel Tournier, Paris, Éditions Pétra, 2010, p. 28 (souligné dans le texte).

[3] Monogramme est le terme employé par Frank Lestringant pour indiquer la singularité du paradigme insulaire. Voir Le Livre des îles, atlas et récits insulaires de la Genèse à Jules Verne, Genève, Droz, 2002, p. 333-334.

[4] J.-M. Racault, Ibid., p. 16. Souligné dans le texte.

[5] Michel Foucault, « Des espaces autres », conférence au Cercle d’études architecturales (14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n° 5 (octobre 1984), p. 46-49. Repris dans Dits et écrits II, Paris, Quarto Gallimard 2001, p. 1574-1575.

Île et robinsonnade

Robinsonnade est le nom qu’on donne aux récits d’îles désertes où sont jetés des naufragés pour y vivre en solitaires. Un nom (sans prénom) qui vient du personnage éponyme auquel on a soustrait son second patronyme : Crusoe – forme anglicisée de Kreutznaer, ainsi que s’appelait le père allemand de Robinson quand il est venu s’établir en Angleterre. On a dans ce « Crusoe » trois des directions les plus signalées du roman de Daniel Defoe (1719)[1]. Au niveau narratologique, une série de voyages antérieurs et postérieurs à celui qui conduit Robinson sur l’île (où la structure itinérante est reprise) inscrit le récit dans une dimension d’aventure et de rupture (Crusoe/cruise). Une autre approche a vu dans la robinsonnade une fable (il est vrai réaliste) inspirée par un contexte économique où Robinson peut passer pour le représentant puritain d’un individualisme et d’un capitalisme en plein essor[2] (kreuzer et cruzade sont des monnaiesdont le nom peut se lire implicitement dans celui de Crusoé – surtout la seconde : elle fait la fortune de Robinson sur ses plantations du Brésil). Au niveau de ce que Defoe lui-même appelle une lecture « allégorique »[3], enfin, certains critiques ont fait de Robinson Crusoé, sur le modèle des « autobiographies spirituelles » encouragées par le protestantisme, un roman du repentir et de la conversion[4] (Crusoe/cross – croix d’un croisé de la reconquête, épreuves ainsi traversées pour mériter le salut).

Quand Defoe fait dire à Robinson que toutes ses réflexions « sont l’histoire exacte d’un état de confinement forcé que, dans [s]on histoire réelle, [il] représente par une retraite confinée dans une île »[5], on ne sait plus bien ce qu’il y a de biographique et d’allégorique. Au-delà des interprétations visant à considérer le roman de Defoe comme une autobiographie cryptée, nous serions plutôt devant l’invention d’un mythe aux sources d’innombrables réécritures entre lesquelles se détache le roman de John M. Coetzee, Foe (1986), qui fait de l’auteur de Robinson Crusoé, fils de ses œuvres et père de la robinsonnade, un personnage à l’œuvre dans sa propre postérité littéraire[6]. Il y a deux raisons principales à ce mythe : une identification de l’espace insulaire à l’expérience existentielle (île déserte = solitude) et de la situation de départ à la notion de commencement (naufrage = origine). Or, de la même façon qu’il existe une pluralité d’accès critiques au récit d’île déserte, on observe une grande ambiguïté de ce récit, qui reste énigmatique.

Équivoque est, pour commencer, cette île prétendue déserte : « c’est […] en cessant de l’être qu’elle devient représentable, la présence en son sein d’un naufragé pouvant seule en autoriser la description. »[7] Biaisée, cette origine en trompe-l’œil d’une arrivée sur l’île, qu’on veut nous présenter comme un baptême et dont l’épave a tout d’une arche de Noé technicienne autorisant la reproduction de l’ancien monde à l’identique. Un double décalage empêche en effet le commencement d’être une origine absolue, comme le prétend Robinson quand il fait débuter chaque année par la date anniversaire de son naufrage. Un décalage entre la narration chronologique interne et le Journal (écrit d’ailleurs au passé !) que Robinson se met à tenir en revenant rétrospectivement sur son arrivée dans l’île. Un autre décalage, entre le temps de l’île et le temps « réel », est la raison du reliquat d’une année quand on fait le décompte de toutes les dates pourtant minutieusement mentionnées dans le roman, que la maladie de Robinson, resté plusieurs jours inconscient, prive ainsi du crédit nécessaire au nom que Robinson donne à Vendredi pour indiquer le jour de son sauvetage.

Un intérêt du roman de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967), est de centrer le récit d’île sur l’invention de cet autrui nommé Vendredi : « Si Robinson Crusoé est un mythe, il ne peut être alors que le mythe de l’origine d’autrui. »[8] Rien ne préfigure mieux cet autrui que l’empreinte du pied découverte un jour au bord de l’eau par Robinson. Cette empreinte est celle d’un seul pied. Témoignant de la solitude au point d’inciter le personnage à s’assurer que ce n’est pas son propre pied, l’empreinte est la marque en creux d’un autrui qu’il espère en tant que semblable et dont il a peur en tant que cannibale ou possible ennemi. Les animaux de l’île (un bouc, un perroquet…) remplissent à cet égard une fonction d’alter ego qui fait que Robinson tantôt croit se voir en eux, tantôt s’en distancie – dans les deux cas s’oblige à penser son altérité.

Toujours une île en cache une autre. On s’explique ainsi non seulement les espaces emboîtés d’« île dans l’île » en partage à la majorité des robinsonnades (antres, enclos, cirques ou bassins) mais aussi la présence simultanée d’au moins deux « codes », heuristique (île à défricher), herméneutique (île à déchiffrer), bien montrés par Roland Barthes à propos de L’Île mystérieuse (1874)[9] et permettant de distinguer récit d’île – appropriation de l’île en surface – et roman de l’île – élucidation d’un secret de l’île en profondeur. Il y a secret quand l’antériorité toujours à jamais perdue mais toujours à jamais déjà là du récit d’île est intériorisée de manière à laisser penser que si l’île est déserte c’est parce qu’elle est vierge de toute écriture et qu’il revient donc à chaque réécriture d’inventer son autre île en y fondant sa propre origine[10].

Éric Fougère

[1] Voir Éric Fougère, Les Voyages et l’ancrage, représentation de l’espace insulaire à l’âge classique, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 61.

[2] Voir Ian Watt, The Rise of the Novel, Londres, Chatto and Windus, 1957 ; « Robinson Crusoe as a Myth », in Michael Shinagel éd., Robinson Crusoe, New York, Londres, Norton & Company, 1975.

[3] Dans sa préface aux Réflexions sérieuses de Robinson Crusoé (1720), Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 594.

[4] Voir George A. Starr, Defoe and Spiritual Autobiography, Princeton, Princeton University Press, 1965 ; John Paul Hunter, The Reluctant Pilgrim, Baltimore, John Hopkins University Press, 1966.

[5] D. Defoe, ibid. (je souligne).

[6] Voir Jean-Paul Engélibert, La Postérité de Robinson Crusoé, un mythe littéraire de la modernité, Genève, Droz, 1997.

[7] Jean-Michel Racault, « Le paradoxe de l’île déserte », in Lise Andries éd., Robinson, Paris, Éditions Autrement, 1996, p. 104.

[8] Jean-Pascal Le Goff, Robinson Crusoé ou l’invention d’autrui, Paris, Klincksieck, 2003, p. 176.

[9] Voir R. Barthes, « Par où commencer ? », in Nouveaux Essais critiques, Paris, Points Seuil, 1972, p. 145-155.

[10] Voir É. Fougère, « Un point sur la reprise insulaire » in Maria de Jesus Cabral et Ana Clara Santos éd., Les Possibilités d’une île, Paris, Pétra, 2014, p. 15-32 ; « Pierre Benoit, récit d’île et roman de l’île », in Carnets, revue électronique d’études françaises, IIe série, n° 3 (2015).

La prison coloniale, entre îlet à Cabrit des Saintes en Guadeloupe et colonie pénitentiaire en Guyane

La « prison coloniale »[1] est non seulement le lieu de détention qu’on rencontre aux colonies mais encore une organisation soumise à la spécificité qu’on réserve à leur administration. De la même façon qu’il existe un code pénal colonial (abrogé le 8 janvier 1877), il existe un régime des peines intérieur aux colonies, qu’on distinguera de celui concernant les condamnés aux travaux forcés métropolitains qui sont envoyés purger leur peine aux colonies. « Prison coloniale » est donc un qualificatif ambivalent. Selon qu’on désignera l’origine (en rapport aux faits criminels et jugements de tribunaux touchant la population proprement coloniale) ou la destination (colonie de Guyane où l’on expédie – « coloniaux » et « nationaux » confondus – tous les condamnés de la loi sur la Transportation du 30 mai 1854), on aura deux acceptions différentes. Il s’agit de prison coloniale au sens où c’est une institution s’exerçant de métropole à colonie via ministère de la marine et des colonies – mais dont le modèle est conditionné par les ministères de la justice et de l’intérieur. Il s’agit aussi de prison coloniale au sens où son identité « créole » est marquée – mais connaît des tensions contradictoires entre intérêts local et national. À cette ambiguïté s’ajoute un dédoublement, de colonies « simples » à colonie « pénitentiaire ».

Au lendemain de l’abolition de l’esclavage, un cas typique est celui de la Guadeloupe, en pleine mutation sociale avec l’arrivée d’une main-d’œuvre d’« engagés » d’origine indienne accusés d’incendies volontaires et de vagabondages, à côté de Noirs affranchis qui font parler d’eux pour vols et violences ou rébellions. C’est dans la continuité de ces affaires criminelles à répétition (qui n’ont pas forcément la réalité que veut leur donner l’écho de la presse et de l’opinion) qu’est restructuré le service des prisons de la colonie par arrêté du 26 décembre 1868[2]. La correctionnalisation des condamnations prononcées, comme les difficultés pour instaurer le travail en prison, semblent, entre autres, épouser la même évolution que dans l’Hexagone. Il n’est pas jusqu’aux données statistiques comparées qui ne montrent une analogie certaine avec ce qu’est la situation judiciaire et pénitentiaire en métropole. C’est dans le type de population visée, la réaction qu’elle suscite et le dispositif pénal et carcéral envisagé qu’il faut plutôt chercher la différence.

À ne juger que par la différence entre rations « créoles » et « européennes », la balance est inégale[3] – ou le serait s’il y avait des rationnaires « européens ». Car on ne compte aucun Blanc dans les prisons guadeloupéennes, ainsi qu’en témoigne un état statistique de la prison des Saintes en 1884, où la totalité des prisonniers sont créoles (au nombre de 58) ou d’origine indienne (62)[4]. Ce pénitencier, constitué « maison de force et de correction » depuis sa création en 1852 jusqu’à sa fermeture en 1905, est construit sur l’îlet à Cabrit pour y concentrer trois catégories de condamnés : à plus d’un an d’emprisonnement, aux travaux forcés, à la réclusion. Le rejet de sa population pénale explique en partie le choix d’éloignement qui s’est fixé sur un îlot mais aussi celui de permettre à la colonie (quand celle-ci renonce à pérenniser son « bagne » éphémère installé sur un ponton) de « transporter » ses réclusionnaires « de race africaine et asiatique » au bagne en Guyane, au lieu de les laisser purger leur peine à l’endroit de leur condamnation par les tribunaux, comme c’est le cas dans l’Hexagone : aggravation de peine ayant pour effet d’introduire en Guyane, à côté de la catégorie « forçats », la catégorie « réclusionnaire » exclusivement raciale et coloniale.

On mesure l’iniquité de la réclusion guyanaise[5] à l’examen du sort fait sur place aux condamnés guadeloupéens (mais aussi martiniquais et réunionnais) que des convois font partir en moyenne une fois par an du pénitencier-dépôt de l’îlet à Cabrit. Malgré la nécessité légalement reconnue, dans un premier temps, d’établir un distinguo juridique entre les transportés forçats de 1ere et ceux, coloniaux réclusionnaires, de 2e catégorie, l’administration pénitentiaire en vient, de fait, à les confondre, au niveau des travaux de défrichement (réputés « les plus pénibles de la colonisation ») comme à celui des rations alimentaires et des punitions. Si le chapeau de paille affublant les forçats se voit remplacé par un feutre gris sur la tête des réclusionnaires, et si sont cousues les initiales RC (Réclusionnaires Coloniaux) sur la manche gauche de la vareuse de ces derniers, les deux catégories n’en sont pas moins rassemblées, selon des critères à l’évidence ethniques et non pénaux, dans les camps les plus mortifères, en particulier Sainte-Marie, « pour le creusement de certains fossés qu’il eût été dangereux de faire exécuter par des Blancs »[6].

Éric Fougère

[1] Voir Éric Fougère, La Prison coloniale en Guadeloupe (îlet à Cabrit, 1852-1905), Matoury (Guyane), Ibis Rouge Éditions, 2010.

[2] Il succède à celui de 1852, sur l’organisation des prisons coloniales, et de 1858, sur le régime intérieur des prisons.

[3] Aux termes de l’arrêté de 1868, les rations se décomposent ainsi : pain 660 g, ou farine de manioc 60 cl, morue 125 g, légumes 100 g (prisonniers créoles) ; pain 625 g, viande fraîche assaisonnée avec 12 grammes de graisse 250 g ou viande salée 200 g, légumes assaisonnés avec 12 gramme de beurre 120 g (pour prisonniers d’origine européenne ou justifiant d’« habitudes européennes »). 

[4] Une moyenne des années 1886 à 1891 indique une répartition dite « ethnographique » à 62,2 % de condamnés créoles (noirs ou mulâtres), 30,5 % d’origine asiatique (Indiens), 0,6 % d’origine africaine (engagés), 0,4 % d’origine européenne ou métropolitaine et 3,3 % de provenances diverses (en particulier des colonies anglaises). Voir Armand Corre, Le Crime en pays créoles, esquisse d’ethnographie criminelle, Paris, Stock, 1889 et, du même auteur, L’Ethnographie criminelle d’après les observations et les statistiques recueillies dans les colonies françaises, Paris, C. Reinwald & Cie, 1984.

[5] À différencier de la réclusion qu’on applique aux forçats par mesure disciplinaire à l’île Saint-Joseph, une des îles du Salut (Guyane).

[6] Lettre de Bonard, gouverneur de la Guyane, au ministre des colonies (18 novembre 1854). Archives nationales d’Outre-Mer, série Colonies H 45.

Les « mauvais sujets » de la Désirade (1763-1767)

La Désirade est une île d’une vingtaine de km2 située non loin de la Grande-Terre en Guadeloupe, à laquelle elle est administrativement rattachée. Ce qu’on en sait de source officielle débute avec la relégation de lépreux qu’on y séquestre à partir de 1728[1]. Une microsociété créole[2] (« habitants cotonniers », « petits-blancs », mulâtres, esclaves) y vit depuis trois décennies quand un autre événement revient croiser son histoire en marge des grands courants d’échanges (elle compte alors une cinquantaine de familles[3]) : aux termes d’une ordonnance de juillet 1763, Louis XV et son ministre Choiseul entendent y faire un sort aux « jeunes gens de mauvaise conduite ». Un but est de désencombrer les maisons de force où sont normalement retenus ces « sujets dangereux » de famille.

Il y a toute une tradition. Sous la Régence, on envoyait des « engagés » coloniser les Antilles et la Louisiane (île Dauphine) en permettant certains d’entre eux de se soustraire aux galères. Expérience initiée, plus loin dans le temps, par lettres patentes autorisant le recours à des criminels extraits de prison pour aller peupler le Canada (1540-41) puis les îles d’Or (Bagaud, Port-Cros, Levant) décrétées terres d’asile (1550). On se rappelle aussi les projets de fondation d’une colonie française au Brésil, sur l’actuelle île de Villegagnon, dans la baie de Guanabara (1555-60) en recrutant partie des candidats dans l’élément pénal (et notamment vagabonds et faux-sauniers), puis sur l’île de Sable (au large de la Nouvelle-Écosse) avec une soixantaine de condamnés dont ne survécut qu’une douzaine (1598-1603)…

Si le texte de 1763 dit que « le roi permet » de « faire passer dans l’île de la Désirade les jeunes gens […] dont la conduite irrégulière aurait obligé les parents à demander leur exportation dans les colonies », c’est parce qu’à la différence de ce qui se pratiquait jusque-là ceux-ci ne sont pas jugés mais visés par lettres de cachet sur simple accusation d’un particulier voulant obtenir un ordre d’arrestation qui reste à la discrétion du pouvoir après enquête. Ils ne sont pas des repris de justice mais des repris de police. À la Désirade, en conséquence, il ne s’agit pas de coloniser mais de corriger. D’où l’orientation disciplinaire : on distinguera les « mauvais sujets » par classes à mesure qu’on « reconnaîtra dans eux plus ou moins d’amendement » sur envoi de « certificats de vie ». Dernière différence, expliquant cette fois l’organisation militaire : ils sont « contenus » par une compagnie d’infanterie chargée d’exercer la surveillance aux ordres d’un commandant qui, le cas échéant, les fera « mettre au cachot les fers aux pieds et aux mains ».

La conception de l’établissement, prison dans la prison, donne à celui-ci l’aspect d’un camp, non seulement par sa construction (une prison proprement dite en maçonnerie, six cases où les « mauvais sujets » sont enfermés chaque nuit dans un quartier de l’île appelé Les Galets, murs végétaux d’enceinte et postes de sentinelles) mais aussi par son fonctionnement : trois sergents inspecteurs effectuent tous les soirs un appel, et le font aussi trois majors, « à des heures non fixées » – ce qui n’empêche pas l’évasion de quatre détenus présumés noyés ni celle de cinq autres, dont deux sont « ramenés ». Mais Villejoin, nommé gouverneur et commandant du camp sur place, est le premier à dénoncer les conditions de ce qu’il appelle une « crasse oisiveté » : « La ration ne suffit pas à la majeure partie. […] plusieurs sont les trois quarts du temps pieds nus et sans chemise ; très peu reçoivent des nouvelles de leurs familles et encore moins des secours. » Obligées de « faire leur soumission » (payer la pension de captivité), des familles oublient de s’en acquitter. Mais l’égalité de traitement théorique est loin d’avoir été suivie. Les mieux notés, souvent gentilhommes, ont bénéficié de faveurs : ils mangent à la table du gouverneur ou des officiers de la garnison, s’en font prêter de l’argent…

À bord de corvettes ou paquebots, les « mauvais sujets » sont embarqués par douzaines au départ de Rochefort, à destination de Martinique et de Basse-Terre en Guadeloupe. À chaque étape (il faut aussi compter celles qui les fait venir de tous les coins du royaume et des prisons de Saint-Lazare ou de Bicêtre à Paris), les passagers sont gardés prisonniers (moyenne de six mois dans la prison de Rochefort, et jusqu’à trois ans pour certains). Ce sont des provinciaux (seulement deux sont parisiens, deux autres sont ressortissants des colonies), dénoncés principalement pour « violences » et dettes (en particulier de jeu). La moyenne d’âge est autour de 25 ans (le plus jeune a 16 ans, les plus vieux la quarantaine). Ils sont quelques-uns de la petite ou moyenne noblesse de robe ou d’épée, d’autres appartiennent à des familles d’artisans et de petits commerçants, d’autres, enfin, font partie de la bourgeoisie. Quand l’établissement ferme, en 1767, ils sont une quarantaine, en instance de départ de Rochefort, à ne pas avoir été déportés (morts, évadés, repentants, « révoqués » sur demandes des familles… ou pour cause d’arrêt des envois) sur un total de 139 dossiers classés sans suite ou refusés[4].

Dès l’année 1765, alors qu’il n’a pas un mois d’existence, on ne croit plus à l’établissement. La correspondance échangée par les autorités coloniales et la métropole, entre les intendants de provinces et le ministère de l’Intérieur et le port de Rochefort et le Bureau des Colonies, met l’accent sur au moins trois points : dépense excessive (en considération d’un nombre aussi limité de « pensionnaires ») ; absurdité d’un système de « redressement » faisant dire à Villejoin, devenu son détracteur, que les bons mauvais sujets « sont confondus avec certains qui sont apostillés [notés] comme gens sans espérance, qui ont trop de vices de cœur […]. Ce n’est pas chez de pareilles gens qu’on puisera des sentiments et, accablé de misère, on trouvera très peu de ressources chez soi pour y revenir » ; indignité de parents « sur qui rejaillit le malheur et déteint la culpabilité de leurs progénitures[5] » en raison du désintérêt manifesté par eux pour le sort de celles-ci. Sur les 53 qui sont de retour à Rochefort en plein hiver (et dont un meurt au cours de la traversée), 12 y sont de nouveau prisonniers jusqu’à ce que leurs parents les en retirent. Ils ne sont, pour 4 d’entre eux, remis en liberté qu’au printemps, sans réponse des familles au courrier leur demandant de les réclamer.

Éric Fougère


[1] Voir Éric Fougère, Les Îles malades, Paris, Classiques Garnier, 2018.

[2] À la différence près que la monoculture y est celle du coton, beaucoup moins rémunérée que la canne à sucre.

[3] Estimation difficile à faire avec exactitude avant les premiers recensements.

[4] Voir Bernadette et Philippe Rossignol, « Les “mauvais sujets” de la Désirade », Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe n° 153 (mai-août 2009), p. 92-97.

[5] Éric Fougère, Des indésirables à la Désirade, Matoury, Ibis Rouge, 2008, p. 104.

La déportation politique insulaire, en France

Quand Soljenitsyne écrit L’Archipel du Goulag, on se dit que ce titre est génial, avant de se demander pourquoi. Le Goulag a fait ses débuts sur l’archipel des Solovki, comme le bagne tsariste avait fait de l’île Sakhaline un lieu d’élection, mais la déportation russe est naturellement continentale, aux antipodes de la déportation britannique en Australie, que non seulement tout un imaginaire associe d’abord à l’insularité mais qui s’implante également sur l’île de Norfolk et en Tasmanie, dans une logique de surinsularisation dont l’équivalent serait le suréloignement des camps de « redressement par le travail » en Sibérie. C’est justement de Sibérie, bloc archi-continental, et plus précisément de la Kolyma, que nous vient l’explication du paradoxe apparent d’une représentation de camps soviétiques en archipel. Dans ses Récits de la Kolyma, Varlam Chalamov (« ennemi du peuple » ayant passé dix-sept ans dans les camps) n’emploie presque jamais que le mot « continent » pour évoquer les terres « libres » :

À la Kolyma, les provinces du centre sont toujours appelées le « continent » (…). La liaison par mer, la ligne maritime Vladivostok-Magadane, le débarquement sur des rocs dénudés, tout cela ressemblait beaucoup aux tableaux du passé, de Sakhaline. C’est ainsi que l’on considère Vladivostok comme une ville du continent, bien que la Kolyma ne soit jamais qualifiée d’île[1].

Les camps ne seraient donc un archipel a priori que dans la mesure où leur géographie vécue sinon fantasmée (qu’on distinguera de la géographie « réelle ») est celle d’un continent négatif en miroir, ou plutôt par défaut, conçu pour désigner par analogie la privation (notamment de liberté). Cette façon d’utiliser l’espace à des fins de représentation pénale ou carcérale est tout l’enjeu des déportations françaises ultra-marines.

Il en est parlé dans le Code pénal de 1810, où la déportation doit se faire « hors du territoire continental » (article 17). En l’absence de lieu nommément désigné, la déportation reste théorique, ainsi qu’on s’en aperçoit déjà dans le précédent sans lendemain d’un projet de déportation de mendiants récidivistes à Madagascar élaboré par un premier Code pénal en 1793. Comme si le mot « continental » (il s’explique en partie par le fait que la France napoléonienne est alors un empire européen[2]) dessinait en creux l’image d’îles auxquelles on devait destiner les déportés, les projets de déportation suivants se tournent assez logiquement vers l’île Bourbon (La Réunion, cirque de Salazie), puis vers Mayotte (îles de Pamandzi et de Dzaoudzi). Sans résultat : la déportation continue d’être appliquée sur le territoire national en citadelle (au Mont-Saint-Michel, à Doullens, et plus tard encore à Belle-Île).

Historiquement, la France a toute une tradition de déportation dans « les îles » : à la Désirade, où des « mauvais sujets » dénoncés par lettres de cachets font l’objet d’une ordonnance de 1763 qui les y retient prisonniers dans un camp palissadé jusqu’en 1767[3] ; aux Seychelles (et plus tard aux Comores), en vertu d’un sénatus-consulte de 1801 réglant le sort des accusés de l’attentat de la rue Saint-Nicaise[4], en Corse et sur l’île de Caprera (prêtres hostiles à Napoléon), sur l’île d’Elbe (insurgés de Saint-Domingue et de Guadeloupe[5], par un chassé-croisé de la métropole et des colonies dont l’histoire de l’esclavage a le secret)…

Mais toute une opposition doctrinale à la déportation s’ajoute à la pénurie d’îles en matière de choix d’un lieu. Barbé-Marbois (lui-même ancien déporté de Fructidor) et Tocqueville (auteur d’Écrits sur le système pénitentiaire) se posent en adversaires de la déportation, le premier parce qu’elle est contradictoire avec l’idée suivant laquelle une peine doit être rapprochée du lieu du crime[6], et le second parce qu’il est partisan d’une réforme pénitentiaire où le modèle est l’enfermement cellulaire et non la déportation. Le tournant vient d’un double événement politique : insurrections de juin 1848 et coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.

Ce qui fait réagir en urgence est non seulement le nombre, inédit depuis la Révolution, de ceux qu’on doit juger mais aussi la suppression de la peine de mort (article 5 de la Constitution de 1848) pour crime politique. Après la loi du 24 janvier 1850 qui les « transporte » au camp-pénitencier de Lambessa (Algérie), puis en Guyane (îlet la Mère et île du Diable), celle du 8 juin de la même année choisit les îles Marquises en instaurant deux degrés de déportation : « simple » (déjà contenue dans le Code pénal), aggravée (dite « en enceinte fortifiée »).

La nouveauté (préfigurée par les projets de déportation vers l’île Bourbon puis Mayotte) est l’introduction d’une détention dans la déportation, d’après le concept d’« enceinte fortifiée » dérivé de celui de « citadelle ». Ainsi, non content de corréler lieu de peine et peine du lieu de manière à conférer tout l’éloignement possible à l’exil, le dispositif associe l’enfermement. Ce qui fait dire à Victor Hugo, lors des débats législatifs (avril 1850) : « On combine le climat, l’exil et la prison : le climat donne sa malignité, l’exil son accablement, la prison son désespoir ; au lieu d’un bourreau on en a trois. La peine de mort est remplacée ? (…) dites avec nous : la peine de mort est rétablie. »

C’est devant un nombre encore accru de condamnés, consécutif aux événements de la Commune en 1870, qu’il suffira, aux termes de la loi du 23 mars 1872, de substituer l’île des Pins à Nuku Hiva (déportation simple) et la presqu’île Ducos à la vallée de Vaitahu (déportation dite en enceinte fortifiée) pour transférer tel quel en Nouvelle-Calédonie le principe d’une insularité pénale (espace abstrait caractérisé par les confins) doublée d’une insularité carcérale en tant que lieu concret de confinement[7].

Éric Fougère


[1] V. Chalamov, Récits de la Kolyma, Lagrasse, Éditions Verdier, 2003, p. 900.

[2] Mais le bannissement prévu par le Code pénal (article 8) est purgé « hors du territoire de l’empire » (article 32).

[3] Voir Éric Fougère, Des Indésirables à la Désirade, Matoury (Guyane), Ibis Rouge Éditions, 2008, et Bernadette et Philippe Rossignol, « Les mauvais sujets de la Désirade », Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe n° 153 (mai-août 2009).

[4] Voir Jean Destrem, Les Déportations du Consulat et de l’Empire, Paris, Jeanmaire, 1885.

[5] Voir Yves Benot, La Démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 1991.

[6] « (…) éloigner à d’immenses distances, c’est faire perdre de vue le souvenir du crime, en même temps qu’on perd de vue le criminel. » François de Barbé-Marbois, Observations sur les votes de quarante et un conseils généraux de départements, concernant la déportation des forçats libérés, Paris, Imprimerie royale, 1828, p. 61.

[7] Voir Éric Fougère, Île-prison, bagne et déportation, Paris, L’Harmattan, 2002.

Aux origines de la relégation et de la déportation modernes : exil insulaire dans l’Antiquité romaine

Le concours historique apporté par les îles aux prisons remonte à l’Antiquité. Les Romains distinguaient relegatio ad insulam et deportatio in insulam[1]. Au-delà du contenu proprement juridique (la deportatio, qui faisait perdre au condamné ses droits civiques et la propriété des biens de son patrimoine, était une peine en théorie perpétuelle et prononcée par l’empereur, à la différence de la relegatio, qui l’était par un gouverneur et ne présentait pas la même rigueur), on voit s’articuler deux notions que les législations reprendront quand il s’agira de droit pénal et d’îles : mobilité dans l’éloignement (relegatio ad), immobilité dans l’enfermement (deportatio in). À cet égard, une gradation des peines est observée : relégation temporaire ou perpétuelle (hors d’une ville ou d’une province), relégation dans une île, déportation dans une île, peine de mort[2]. Il existe aussi trois sortes d’exil : interdiction d’endroits spécifiques (en particulier de Rome), exclusion de tout espace autre qu’un lieu spécialement désigné, confinement dans une île (en ne précisant pas laquelle avant sentence).

On pouvait reléguer sinon déporter n’importe où pourvu que ce soit loin, comme le montre l’exemple d’Ovide au Pont-Euxin (mer Noire). La peine insulaire n’en est pas moins pratiquée de fait, elle aussi marquée par la distance, avec la déportation, dans l’archipel des Kerkennah (Tunisie), de Sempronius Gracchus, amant de Julia, fille d’Auguste également reléguée par son père à Pandataria (Ventotene), dans l’archipel des Pontines (où la rejoint sa mère), avant de mourir à Reggio di Calabria cinq ans plus tard en 14 apr. J.-C. Tibère y fit exiler la fille de Julia, comme d’autres femmes de la famille impériale : Octavie, femme de Néron, Flavia Domitilla, femme d’un rival de Domitien, Orestilla, femme de Caligula, Julia Livilla, Agrippine la Jeune (filles de Germanicus), exilées sur l’île de Ponza, Julia Vipsania, dans l’archipel des Tremiti. Toutes (sauf Flavia Domitilla) pour affaires de mœurs (adultère, avortement, débauche, impiété) mais sans doute aussi pour les mêmes raisons, politiques, expliquant l’envoi, sur Capri, de Lucilla, sœur de Commode, et de Crispinia, sa femme, accusées de conjuration contre l’empereur, ou de Sénèque en Corse au motif de son adultère avec Julia Livillia mais victime aussi d’intrigues dans l’entourage de Claude[3]. En 417, à Lipari (groupe des Éoliennes où la femme de Caracalla, Plautille, avait été exilée puis assassinée) fut exilé le premier empereur romain d’Occident, accusé d’usurpation, Priscus Attale. Le dernier empereur, en la personne de Romulus Augustule, est envoyé par Odoacre à Nisida, devant Naples.

Par Tacite (Annales) et par Suétone (Vies des douze Césars), entre autres, on sait quel usage Tibère a fait des Sporades (île de Kinaros) et surtout des Cyclades en tant que lieux d’exil : à Sériphos (où furent expédiés Cassius Severus, opposant politique, et Vistilia, matrone accusée de se prostituer), Kythnos (où fut relégué Junius Silanus, proconsul accusé de malversation), Lesbos (pour Junius Gallio, parce qu’il avait proposé un changement d’étiquette qui ne respectait pas la préséance), Amorgos (où fut déporté le proconsul Vibius Serenus), Andros (Flaccus, préfet d’Égypte), mais aussi Gyaros et Donoussa, qui semblent avoir été réservées pour les bannissements les plus sévères[4] et dont l’historiographie n’a pas retenu grand-chose en raison de trois facteurs, dont le premier tient à la stratégie d’oubli qui préside au bannissement (quand les déportés ne sont pas supprimés d’une manière ou d’une autre – assassinat, misère… – au bout de leur exil insulaire). Une autre explication vient du fait que ladite stratégie, sauf exception (notamment celle, en 19 apr. J.-C., de quelque quatre mille affranchis déportés en Sardaigne à cause de leurs « superstitions égyptiennes et judaïques », et qu’on chargea d’y réprimer le brigandage), a surtout concerné des personnes isolées dont les historiens n’ont parlé (troisième explication) que quand ces personnes avaient un titre quelconque à la notoriété.

Si le sort de chacun des condamnés romains pris séparément n’a rien, pour eux, d’anecdotique, on est malgré tout devant le constat d’une disparité d’expériences insulaires irréductibles à tout essai de globalisation. Quoi de commun, par exemple, entre la vie de Jean l’Évangéliste à Patmos et celle, en relégation, d’Agrippa Postumus, petit-fils d’Auguste, à l’île de Pianosa ? Quoi de commun même entre des îles, en majorité très petites, où tout était réputé manquer (Kinaros, Sériphos, Gyaros…) et d’autres où les Romains riches avaient construit des maisons de villégiature (à Capri, Pandatera, Nisida…) ? Demeure un dernier constat cependant : les Romains semblent avoir inventé (même si l’on pourrait en trouver des ébauches à l’époque hellénique[5]) l’espace-idée d’îles-prisons dont l’usage, encore empirique, est en même temps déjà systématique.

Éric Fougère

[1] Voir Vincent Jolivet, « L’exil sur les îles dans l’Antiquité romaine », in Brigitte Marin dir., Les Petites Îles de Méditerranée occidentale, Marseille, Éditions Gaussen, 2021, p. 172-175.

[2] Voir Yann Rivière, « L’interdictio aqua et igni et la deportatio sous le Haut-Empire romain », in Philippe Blaudeau dir., Exil et relégation, les tribulations du sage et du saint durant l’Antiquité romaine et chrétienne (Ier-VIe siècles après J.-C.), Paris, De Boccard, 2008, et, du même auteur, « La relégation et le retour des relégués dans l’Empire romain (Ier-IIIe siècles), in Claudia Moatti, Wolfgang Kaiser, Christophe Pébarthe dir., Le monde de l’itinérance en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Bordeaux-Pessac, Ausonius Éditions, 2009, p. 535-570.

[3] Voir Roselyne Immongault Nomewa, « Les exilées romaines et l’espace répulsif dans l’empire romain : l’apport des sources littéraires latines », CHA, 2014, en ligne sur https://www.academia.edu

[4] Voir Étienne Wolf, « Ambivalence des îles dans la culture romaine : l’exemple de la vie de Tibère », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2008, 1, p. 139-145.

[5] Voir Patrice Brun, Les Archipels Égéens dans l’Antiquité grecque (Ve-IIe siècle avant notre ère), Annales littéraires de l’université de Besançon, Institut des sciences et techniques de l’Antiquité, Centre de recherches d’histoire ancienne, vol. 157 (1996), p. 23.

Île malade – Lazarets de quarantaine et léproseries dans les îles

Espace insulaire et question sanitaire ont partie liée. Dans un lieu diminutif, on peut d’autant mieux confiner les populations concernées qu’on peut identifier plus facilement les foyers infectieux sinon contagieux. « Trancher la relation des corps afin de retrancher la maladie dans des limites imposées : ces deux conditions, de coupure et de clôture, ont été remplies[1] » par une géographie de fragmentation des îles à laquelle on a fait grosso modo correspondre une double stratégie. Soit l’exclusion bannit le malade atteint de lèpre hors d’un espace à purifier, soit l’inclusion procède en isolant le malade atteint de peste au sein d’un espace à contrôler[2]. Lèpre : éloigner pour écarter ; peste : écarter pour interner. Telle est l’insularisation pratiquée depuis le continent. Contenir en milieu naturellement circonscrit.

La moitié des lazarets conçus pour se protéger de la peste en Europe ont été des îles[3]. En 1377, une première quarantaine historique a lieu sur l’îlot Mrkan (Adriatique), avant de se déplacer non loin sur un autre îlot devant Dubrovnik en 1430 puis sur une île appelée Lokrum. En 1423, Venise a déjà son établissement sur l’îlot Santa Maria di Nazareth, auquel s’ajoute un lazzareto nuovo (1468), puis un autre à l’île Poviglia. Des lazarets sous autorité vénitienne existent à Céphalonie et à Corfou (sur un îlot près de la ville). À Livourne, un contrôle sanitaire est instauré sur l’îlot du Fanal en 1582. Dans le port d’Ancône, un pentagone édifié sur l’eau donne un aspect d’île artificielle au lazaret. Naples a le sien sur l’îlot Coppino voisin de Nisida (île où ne sont situées que des installations de simple « observation »). Toujours en position de double insularité, l’îlot Manoel au nord de La Valette à Malte, ou l’îlot de quarantaine à Minorque, avant le creusement d’un canal ayant pour effet de changer la presqu’île de San Felipet (Mahón) en île où se dresse un second lazaret (de même à Trieste : un canal isole un lazaret de la ville). Il n’est pas jusqu’au lazaret de Kostajnica qui ne soit localisé sur une île (il est vrai fluviale) à la frontière entre Bosnie et Croatie. Marseille a deux quarantaines : une à l’île Jarre pour les navires en « patente brute » (infectés), l’autre, ordinaire, à Pomègues (archipel du Frioul), où le Grand Saint-Antoine en provenance de Syrie pestiférée s’apprête à décimer la ville en 1720. Le grand tournant sanitaire en Europe, après les pandémies de peste, est l’irruption de la fièvre jaune et du choléra, pour lesquels on construit de nouveaux dispositifs insulaires : hôpital Caroline aux îles du Frioul (île Ratonneau), Sanguinaires (Ajaccio), d’Hyères (Porquerolles et Bagaud), San Antonio (port sicilien de Trapani), Asinara (Sardaigne), Ayios Nikolaos (Cyclades)[4]… Un cordon sanitaire est déployé sur la façade atlantique : à Saint-Vaast-la-Hougue (îlot Tatihou), au Havre (îlot du Hoc), à Brest (îlot de Trébéron), à Lorient (île Saint-Michel), à Rochefort et La Rochelle (île d’Aix).

Aux colonies, d’où procède en partie la nouvelle épidémiologie tropicale, un croisement fait que lèpre et peste y côtoient la fièvre jaune. À Saint-Domingue, en 1712, on hésite à bannir une vingtaine de familles à l’île de la Tortue pour cause de lèpre, avant que les autorités ne se ravisent. En Guadeloupe, on choisit de séquestrer les lépreux sur la Désirade entre 1728 et 1958. Les premiers documents relatifs aux lépreux guyanais remontent à 1818. Ils sont quarante esclaves internés sur l’îlet la Mère puis transférés sur une des îles du Salut (Royale), et, de là, redéménagés sur un affluent de la Mana, l’Acarouany. La question du sort à faire aux lépreux coloniaux se double d’une autre, au lendemain de l’abolition de l’esclavage : à la façon dont on distinguait les malades esclaves et libres (autrement dit Blancs, pour la plupart exemptés de réclusions sanitaires, et Noirs, en principe internés), les règlements distinguent à présent deux catégories de lépreux, ceux de la population libre et ceux de l’« élément » pénal introduit par les forçats de Guyane et de Nouvelle-Calédonie. Ces derniers dépendent en effet de la seule administration pénitentiaire. En Guyane, ils sont envoyés sur l’îlot Saint-Louis du Maroni. Les condamnés lépreux de Nouvelle-Calédonie le sont à l’île Nou, non loin du pénitencier, puis sur l’île Art (archipel des Belep) et sur l’île aux Chèvres, avant de passer dans la presqu’île Ducos à proximité de Nouméa. Les lépreux mélanésiens de l’archipel des Loyauté sont internés sur l’îlot Dudun (île de Maré). La différence, ethnique (indigènes/esclaves) et juridique (forçats en cours de peine ou libérés), s’opère aussi socialement pour les indigents, qu’on entend placer dans une « léproserie maritime » (et non « terrestre »), en Cochinchine, et qu’on finit par diriger vers une île du Mékong, comme, en Côte d’Ivoire, on le fait sur l’île Désirée, dans une lagune à quatre heures d’Abidjan.

La peste (épidémique) ne relève pas de la même insularité que la lèpre (endémique). Autant l’une est de progression lente, incurable et réputée modérément contagieuse, autant l’autre est à la fois foudroyante et moins facile à prévenir, avant les premiers symptômes, que la lèpre et ses stigmates. Quand la peste arrive à Nouméa, l’espace urbain fait l’objet d’une insularisation distributive : à l’intérieur de ce que les autorités sanitaires appellent une « grande clôture », la presqu’île est fractionnée par isolats pour les Européens ; pour la main-d’œuvre « engagée » d’origine asiatique, en revanche, on réserve un îlot de quarantaine en baie de Nouméa (Sainte-Marie). Spatialisation/spécialisation qu’on retrouve, à l’entrée de la ville, au lazaret de l’îlot Freycinet divisé lui-même en deux parties reconditionnées : pour l’observation de la maladie d’une part et pour son traitement de l’autre. Il en va de même à l’îlet à Cabrit de l’archipel des Saintes en Guadeloupe, occupé par une prison centrale et qui sert aussi de dépôt pour les condamnés aux travaux forcés guadeloupéens que deux convois par an conduisent au bagne en Guyane[5]. Isolés sans éloignement, les lazarets de quarantaine ont une politique à l’opposé du schéma de surinsularité lépreuse. Il ne s’agit pas de les établir au plus loin mais, comme avec l’îlot Maskali de la Côte française des Somalis, si possible au plus près des ports et des circuits commerciaux. Raison pour laquelle, en 1893, on va fermer le lazaret des Saintes au profit d’un autre encore plus rapproché, sur l’îlet Cosson de Pointe-à-Pitre. On n’y sera plus dans un camp retranché de nature à renforcer les épidémies par concentration des maladies mais dans un lieu de transit, une voie de passage accélérant la remise en circulation des personnes et des marchandises. On y substituera la désinfection des navires à l’internement des quarantenaires en préférant l’inclusion des biens dans un flux de libre-échange à l’inclusion des maladies dans une organisation de mise à l’isolement dans tous les cas (lèpre ou peste) incomplètement mise en œuvre et plus ou moins contrôlée.

Éric Fougère

[1] Éric Fougère, Les Îles malades, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 8.

[2] Voir M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

[3] Voir Daniel Panzac, Quarantaines et lazarets, Aix-en-Provence, Édisud, 1986.

[4] Voir John Chircop et Francisco Javier Martinez (ed.), Mediterranean Quarantines, 1750-1914, Manchester University Press, 2018.

[5] Voir Éric Fougère, La Prison coloniale en Guadeloupe, Matoury (Guyane), Ibis Rouge, 2010.