Est chercheuse à la Faculté des Lettres de l’Université de Lisbonne, travaillant sur le projet « Censure et Cinéma dans l’Espace Ibérique, de 1968 à nos jours », dans le sous-groupe Dialogues Ibériques et Ibéro-américains et coordinatrice du Groupe LOCUS du Centre d’Études Comparatistes. Elle enseigne l’Histoire du Cinéma, Cinéma et Littérature et le Séminaire Temps et Espaces dans le Cinéma Portugais. Entre autres publications, elle est l’auteur de Censura ao Erotismo e Violência. Cinema no Portugal Marcelista (2017) et a coordonné les dossiers « Censure du cinéma pendant les dictatures ibériques » Ler História (2021) et « Images interdites : censure et création artistique dans l’espace ibérique contemporain » Diálogos (2022).Diálogos (2022).
Royaume-Uni
Île de l’Asinara : concentré d’insularité sanitaire et pénitentiaire en Sardaigne
Avant de devenir un parc national en 2002, l’île d’une cinquantaine de km2 qui se trouve à l’extrémité nord-ouest du golfe de l’Asinara (Sardaigne) a connu toutes les formes d’enfermement qu’autorisait son isolement relatif, à quelque 500 mètres de l’îlot Piana séparé de la presqu’île de Stintino par encore un demi-kilomètre environ. Cela commence en 1885, avec la création d’une colonie pénale agricole à Cala d’Oliva, sur les hauteurs du village de l’île, et d’un lazaret de quarantaine un peu plus au sud, à Cala Reale. Les difficultés soulevées par le projet de loi présenté devant la chambre des députés par le président du Conseil et ministre de l’Intérieur Agostino Depretis : sort à faire aux pêcheurs et bergers de l’île et manque d’eau, trouvent un début de solution dans la construction d’une citerne et l’expropriation des habitants. La main-d’œuvre est formée de la population pénale amenée par convois de 10 à 40 condamnés qu’on attelle à la réalisation du lazaret jusqu’en 1897 (il ferme en 1939) et d’une nouvelle prison qui voit bientôt le jour à Fornelli dans le sud de l’île, où le territoire est divisé sous la double juridiction du ministère de la Marine et de l’Intérieur.
Entre décembre 1915 et mars 1916, avec le débarquement de 24 000 prisonniers de guerre en provenance de l’empire d’Autriche-Hongrie, la « station sanitaire », organisée pour un maximum de 1 500 malades, est dans l’incapacité de faire face au choléra qui se déclare à bord des convois maritimes en même temps que dans le camp de transit albanien de Valona. L’épidémie tue de 7 à 8 000 prisonniers répartis sur plusieurs points de l’île au gré des camps qu’on aménage à la va-vite (obligeant la colonie pénale à se concentrer dans le nord de l’île) : à Fornelli, Stretti, Campu Perdu, Tumbarino. L’emplacement de ce dernier camp servait à fournir en bois la colonie tandis qu’aux lieux-dits Santa Maria, Campu Perdu, Stretti se pratiquaient le travail agricole et l’élevage (accessoirement la pêche) : 230 hectares (en oliviers, vignes, céréales et autres cultures vivrières) ont été mis en culture au début du XXe siècle non seulement par la colonie – prison grandeur nature inspirée de celle instaurée dans l’archipel toscan sur l’île Pianosa, constituée colonie pénale en 1858, puis sur l’île de Gorgone en 1871 – mais aussi grâce à l’arrivée de 10 000 autres prisonniers de guerre après l’épidémie de choléra.
En 1937, la fille aînée du négus Haïlé Selassié, capturée par les autorités coloniales italiennes, est internée sur l’Asinara, comme le sont plusieurs centaines de personnalités d’Éthiopie durant la seconde guerre d’occupation de ce pays. Le confino politico mussolinien renoue donc avec la relegatio ad insulam de l’Antiquité romaine en internant les opposants, par mesure de police et de sûreté, sur des îles ayant tout un passé de lieux d’exil, en particulier Ponza et Ventotene dans l’archipel des îles Pontines au large du Latium, ou même Ustica, Favignana, Lampedusa, Lipari, Pantelleria, Tremiti. À l’Asinara, le tournant, dans les années 70, est celui du transfert de quelques-uns des chefs importants des Brigades rouges à la prison de Fornelli, dans le bâtiment, reconditionné pour la circonstance, où la colonie pénale agricole avait d’abord été le lieu de détention d’une cinquantaine de condamnés dont le nombre a décuplé : désormais (milieu des années 70), ils sont plus d’une centaine en réclusion dans la prison de Fornelli, le double en casa di lavoro (régime « ouvert » en journée), la petite centaine restante au gré de dix sections (diramazioni), dont Casa Bianche, la plus au nord (où sont installés des sconsegnati bénéficiant d’une semi-liberté), qui s’ajoute aux « annexes » existantes (entre autres pour crimes sexuels, à Tumbarino, trafic de drogue international, à Santa Maria).
Suite à toute une série de causes – autorité controversée du nouveau directeur de la prison (jugé puis condamné pour corruption), droit de visite et conditions de détention très sévères, plans d’évasion déjoués, rébellions plus ou moins matées, pression de la population locale et de l’opinion publique, prise en otage par les Brigades rouges encore en liberté d’un juge, à Rome, pour obtenir la fermeture du quartier de Fornelli – les activistes sont, fin 1980, de nouveau transférés ; ce qui n’empêche pas l’Asinara de continuer d’être la prison de « haute sécurité » du crime organisé (mafia sicilienne et Camorra) jusqu’à sa fermeture en 1997. Au début des années 80, Cala d’Oliva, restée prison « centrale », devient la prison « fortifiée » de Toto Riina.
Pendant plus de cent ans (dont près de quarante à réclamer la conversion de l’île en parc naturel), ce qui fait la spécificité de l’Asinara, choisie de façon presque accidentelle à côté des sept autres colonies agricoles de Sardaigne, est non seulement la combinaison de ses fonctions sanitaire et pénitentiaire mais aussi, paradoxalement (compte tenu de son éloignement), son involontaire immersion dans une histoire (guerre mondiale et de colonisation, fascisme, terrorisme et banditisme…) qui l’expose à tous les régimes, alternativement civils et militaires, en termes de discipline (ateliers de travail et colonie agricole) et de surveillance et détention (semi-liberté, réclusion, relégation, mise en quarantaine, internement dans des camps de « concentration » pour prisonniers de guerre). Et cette exposition même à l’histoire explique aussi sa récente métamorphose…
Complet retournement de paradigme en effet : de visite à l’Asinara sur un « petit train » qui caracole au gré des calas, le touriste est prié de se tenir à bonne distance des ânes qu’on y laisse entièrement libres de traverser la chaussée coupant toute l’île du sud au nord. Endémique, la race de ces ânes albinos est réputée « vulnérable » en raison de ce qui fait justement d’elle une « espèce protégée » tout en participant de cette vulnérabilité : la consanguinité. Si bien que, non content de transformer l’âne, animal à vocation domestique, en nouvel emblème insulaire estampillé « nature » (au prix d’un faux rapprochement d’étymologie probable ), on a basculé dans une axiologie de « Réserve animale » et d’attraction touristique où la station sanitaire a fait place au poste vétérinaire et l’espace carcéral à l’éden environnemental.
[1] Aucun des noms latins de l’île (Herculis Insula, Sinuaria voire Aenaria) ne permet de reconnaître asinus (i.e. âne).
COSSU A., MONBALLIU X., TORRE A. (1994), L’isola dell’Asinara, Carlo Delfino editore, Sassari.
DODERO G. (1999), Storia della medicina e della sanità pubblica in Sardegna, Aipsa edizioni, Cagliari.
GUTIERREZ M., MATTONE A., VAISECCHI F. (1998), L’isola dell’Asinara: l’ambiente, la storia, il parco, Poliedro, Nuoro.
GORGOLINI L. (2011), I dannati dell’Asinara, l’odissea dei prigioneri austro-ungarici nella Prima guerra mondiale, Utet editore, Milano.
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GORGOLINI L. (2011), I dannati dell’Asinara, l’odissea dei prigioneri austro-ungarici nella Prima guerra mondiale, Utet editore, Milano.
The Island in Northern-American and English 20th and 21st – centuries Paranormal Horror Films and TV-Shows
[In Cinema, Horror]: Although prolific in representations in horror cinema and television shows, the island as an object of horror has yet to be further studied. In the 20th and 21st centuries, the island has been the stage for numerous horror films and television shows. Notably, the island is generally represented as the stage for horror, very rarely being the source of horror itself. However, there are some notable examples where the island itself represents the horror whether because of its inhabitants, for example in Doomwatch (Sasdy 1972) or The Wicker Man (Hardy 1973), or due to its fauna and flora, like Jaws (Spielberg 1975), and The Bay (Levinson 2012). The characteristics that the island evokes can be read in a binary. Instead of representing a private paradise, these islands usually represent individual (or group) seclusion that brings about the need for survival. The island often functions as the representation of exclusion from ‘normal’ society and the characters’ inability to reach it safely, often connecting it to the idea of the supernatural, such as in Blood Beach (Bloom 1981), The Woman in Black (Watkins 2012), an adaptation of Susan Hill’s homonymous work (1983), and Sweetheart (Dillard 2019), or of madness, for example in Shutter Island (Scorsese 2010) or The Lighthouse (Eggers 2019). It also evokes the feelings of imprisonment, limited resources, strange or foreign life forms, and a place where privacy can mean the concealment of horror to outsiders, such as Midnight Mass (Flanagan 2021), which evokes religious horror that is kept at bay from the rest of the world and contained because it is set on an island, or Fantasy Island (Wadlow 2020), where the notion of paradisiac and idyllic islands is subverted into its dystopic opposite. The island in horror films has been studied from a postcolonial perspective (Williams 1983; Martens 2021), particularly concerning films of Northern-American or British production that set the horror on foreign islands, namely those which are not European and white-centred, focusing, for instance, on the representation of African-Caribbean religions and practices and the zombie figure. It has also been studied through the lens of diabolical isolation and as the site for scientific experiment, like The Island of Lost Souls (Kenton 1934), the adaptation of H. G. Wells’ The Island of Dr. Mureau (1896), creation and/or concealment, as in Sedgwick’s study about ‘Nazi Islands’ (2018). However, it is from Australia that the study of the island as a horror site seems to be more fertile, specifically studies of ‘Ozploitation’, that is, films that explore the Australian island landscape as a product of colonisation and of disconnection from the (main)land (Simpson 2010; Culley 2020; Ryan and Ellison 2020).
Bibliography:
CULLEY, NINA. “The Isolation at the Heart of Australian Horror.” Kill Your Darlings, Jul-Dec 2020, 2020, pp. 263-265. Informit, search.informit.org/doi/10.3316/informit.630726095716522.
MARTENS, EMIEL. “The 1930s Horror Adventure Film on Location in Jamaica: ‘Jungle Gods’, ‘Voodoo Drums’ and ‘Mumbo Jumbo’ in the ‘Secret Places of Paradise Island’. Humanities, vol. 10, no. 2, 2021, doi: 10.3390/h10020062.
RYAN, MARK DAVID, AND ELISABETH WILSON. “Beaches in Australian Horror Films: Sites of Fear and Retreat.” Writing the Australian Beach. Local Site, Global Idea, edited by Elisabeth Ellison and Donna Lee Brien. 2020. Cham: Palgrave Macmillan.
SEDGWICK, LAURA. “Islands Of Horror: Nazi Mad Science and The Occult in Shock Waves (1977), Hellboy (2004), And The Devil’s Rock (2011).” Post Script, special issue on Islands and Film, vol. 37, no. 2/3, 2018, pp. 27-39. Proquest, www.proquest.com/openview/00ccdba578653d3fe1a5b2e7b5bfb0b5/1?pq-origsite=gscholar&cbl=44598. Accessed January 27, 2022.
SIMPSON, CATHERINE. “Australian eco-horror and Gaia’s revenge: animals, eco-nationalism and the ‘new nature’.” Studies in Australasian Cinema, vol. 4, no. 1, 2010, pp. 43-54, doi: 10.1386/sac.4.1.43_1.
WILLIAMS, TONY. “White Zombie. Haitian Horror.” Jump Cut: A Review of Contemporary Media, vol. 28, 1983, pp. 18-20. Jump Cut, www.ejumpcut.org/archive/onlinessays/JC28folder/WhiteZombie.html. Accessed January 27, 2022.
Filmography:
Blood Beach. Directed by Jeffrey Bloom, The Jerry Gross Organization, 1981.
Doomwatch. Directed by Peter Sasdy, BBC, 1972.
Fantasy Island. Directed by Jeff Wadlow, Columbia Pictures, 2020.
Jaws. Directed by Steven Spielberg, Universal Studies, 1975.
Midnight Mass. Directed by Mike Flanagan, Netflix, 2021.
Shutter Island. Directed by Martin Scorsese, Paramount Pictures, 2010.
Sweetheart. Directed by Justin Dillard, Blumhouse Productions, 2019.
The Bay. Directed by Barry Levinson, Baltimore Pictures, 2012.
The Island of Lost Souls. Directed by Erle C. Kenton, Paramount Pictures, 1932.
The Lighthouse. Directed by Max Eggers, A24, 2019.
The Woman in Black. Directed by James Watkins, Hammer Film Productions, 2012.
Wicker Man. Directed by Robin Hardy, British Lion Films, 1973.
Further Reading
CHIBNALL, STEVE, AND JULIAN PETLEY (eds.). British Horror Cinema. British Popular Cinema. 2002. London and New York: Routledge.
HUTCHINGS, PETER. Hammer and Beyond: The British Horror Film. 1993. Manchester and New York: Manchester University Press.
—. Historical Dictionary of Horror Cinema, 2nd edition. 2018. London: Rowman & Littlefield.
—. The A to Z of Horror Cinema. 2009. Lanham, Toronto, Plymouth: The Scarecrow Press.
LEEDER, MURRAY. Horror Film. A Critical Introduction. 2018. New York, London, Oxford, New Delhi, Sydney: Bloomsbury.
SMITH, GARY A. Uneasy Dreams: The Golden Age of British Horror Films, 1956-1976. 2000. Jefferson, North Carolina, and London: McFarland & Company.
WALLER, GREGORY A. (ed.). American Horrors. Essays on the Modern American Horror Film. 1987. Urbana and Chicago: University of Illinois Press.