Skip to content

Categoria: Personalia

Orlanda Amarílis

Orlanda Amarílis Lopes Rodrigues Fernandes Ferreira était une écrivaine capverdienne, née sur l’île de Santiago, le 8 octobre 1924. Elle a fait ses études primaires et secondaires à Mindelo (île de São Vicente), avant de s’installer dans l’État portugais de Goa où elle a terminé ses études pour devenir institutrice. À Lisbonne, elle a fait des études en Sciences Pédagogiques à l’Université de Lisbonne. Elle est décédée dans la capitale portugaise le 1er février 2014.

Les lettres ont toujours été présentes dans sa vie, à travers son mari, l’écrivain Manuel Ferreira (Leiria, 18-7-1917/Linda-a-Velha, 17-3-1992), spécialiste de la littérature et des cultures africaines lusophones, auteur de No Reino de Caliban e A aventura crioula ; à travers son père, Armando Napoleão Rodrigues Fernandes (Brava, 1-7-1889/Praia, 19-6-1969), qui a publié le premier dictionnaire créole-portugais, O Dialecto Crioulo: Léxico do Dialecto Crioulo do Arquipélago de Cabo Verde ; et à travers Baltazar Lopes da Silva (São Nicolau, 23-4-1907/Lisbonne, 28-5-1989), auteur de Chiquinho et fondateur de la revue Claridade.

En tant que membre de l’Academia Cultivar, fondée par des élèves du Lycée Gil Eanes, et collaboratrice de la revue Certeza (1944), Orlanda Amarílis appartenait à la Génération de Certeza, dont l’intention principale était de problématiser l’isolement de l’archipel du Cap-Vert et des îles entre elles, dans le but de construire la culture et l’identité capverdiennes : « Les écrivains de la Génération de Certeza proposent de lutter obstinément et prennent un engagement d’action et de changement, basé, avant tout, sur des textes littéraires qui privilégient la reconstruction identitaire capverdienne et la lutte contre l’oppression » (Deus, 2020 : 75-76).

Concernant la Génération de Certeza et le supposé problème avec les «  Claridosos  », Orlanda Amarílis parle d’un travail de continuité :

Quand la revue Certeza est apparue, ce n’était pas pour combattre la revue Claridade comme je l’ai entendu quelque part. J’ai même entendu dire que Certeza n’a pas été un point de repère. Cependant, pour nous [les membres de l’Academia Cultivar], Certeza apporterait quelque chose de nouveau. Il y avait une pulsation différente en nous, d’une génération postérieure, donc plus récente que les fondateurs de Claridade. Fonder Certeza a permis de continuer ce que Claridade avait commencé. (Laban, 1992 : 271-272).

Au fil du temps, Amarílis est devenue l’un des visages féminins les plus importants de la littérature capverdienne, exprimant, dans son œuvre, la femme capverdienne et la diaspora. Leurs histoires révèlent une contribution importante à l’enregistrement et à la diffusion du patrimoine immatériel du Cap-Vert.

À son retour, après une longue absence, elle se remémore son insularité perdue, cherchant dans ce temps d’éloignement physique la force qui l’a faite écrire et diffuser la vie des îles, jusque dans la « sottise naïve » de pouvoir revivre ce temps-là. :

j’ai été mise en position de chercher un univers perdu et, si cette rupture a existé virtuellement, cela s’est avéré positif, car cela m’a obligée à écrire. Cependant, mon climat émotionnel à ce moment-là n’a aucune raison d’exister en ce moment. Il est naïvement idiot de penser qu’il est possible, après tant d’années d’absence, de revivre les émotions de cette époque. […]. Quand je suis revenue au Cap-Vert il y a quelques années, les cendres du volcan qu’avait été ma vie jusqu’à mes seize ans se sont dispersées devant moi. (Laban, 1992 : 263)

Comme œuvre la plus remarquable, nous considérons Cais do Sodré té Salamansa (1974 ; 1991), dont le titre fait référence à Lisbonne et à l’île de São Vicente, plus précisément au village situé au nord-est de Mindelo. L’ensemble de sept contes fait connaître les facettes que nous soulignons dans les contes d’Orlanda Amarílis, en rapport avec la diaspora, la femme et le sentiment capverdien d’abandon et de retour dans les îles, dans un voyage qui a commencé à « Cais do Sodré » et se termine à « Salamana ».

Avec des personnages qui incarnent les îles, à travers l’identité, le langage (expressions, formes d’adresse, chansons, habitudes du quotidien), la difficulté et l’épreuve de la vie, et à travers la subtilité dichotomique, physique et figurative, entre le personnage qui quitte l’espace de l’archipel et celui qui reste, «étant en exil, ils opposent sans cesse la mémoire de leur identité capverdienne aux modifications provoquées par l’éloignement spatial et temporel, et cet éloignement s’insère dans leurs filiations identitaires » (Silva, 2010 : 63), Orlanda Amarílis propose une réflexion sur «des sujets importants de la scène socioculturelle capverdienne comme, par exemple, la redéfinition de l’identité culturelle, la violence de genre, l’oppression subie par les femmes, la solitude, l’émigration » (Deus, 2020 : 80 ).

À propos de Cais do Sodré té Salamansa, nous soulignons ce que nous pouvons considérer comme une synthèse de l’écriture d’Orlanda Amarílis. Dans la dernière partie du conte « Salamansa », Antoninha « chante en s’amusant » (Amarílis, 1991 : 82) une chanson en créole qui sert de point de départ pour invoquer la plage de Salamansa, la communion avec la mer et l’émigrante Linda, fille de la « rue do Cavoquinho » (Amarílis, 1991 : 80), qui symbolise les difficultés de la vie des femmes des îles : « Oh, Salamansa, plage aux vagues libres et bruyantes comme des filles convoitées le jour de la Saint-Jean. Oh, Salamansa, du poisson frit dans les assiettes couvertes au fond des paniers et des chopes de maïs grillé par tantine dans des chaudières à sable chaud. Sable de Salamansa, Linda roulant sur le sable » (Amarílis, 1991 : 82).

Parmi les œuvres de l’auteur, il convient de mentionner, outre Cais do Sodré té Salamansa, Ilhéu dos pássaros (1982), A casa dos Mastros (1989), Facécias e Peripécias (1990), A tartaruguinha (1997).

Paulo César Vieira Figueira

Henrique Teixeira de Sousa

Henrique Teixeira de Sousa est né au Cap-Vert, sur l’île de Fogo, dans la paroisse de São Lourenço, le 6 septembre 1919. Il est décédé, à l’âge de 87 ans, à Algés, le 3 mars 2006, après avoir été renversé par une voiture. Il vivait à Oeiras, au Portugal, depuis les années soixante-dix du XXème siècle.

Il a terminé ses études de médecine à l’Université de Lisbonne, en 1945. Outre l’écriture, la médecine a été l’objet d’un grand dévouement de la part de Teixeira de Sousa. Il a suivi des études de médecine tropicale et de nutrition et a travaillé au Timor oriental, sur l’île de Fogo et sur l’île de São Vicente, avant de retourner au Portugal.

Du fait de son expérience interinsulaire et mondiale, Henrique Teixeira de Sousa est devenu un symbole du sentiment capverdien et de l’exposition du sentiment des îles, ce qui, selon Ondina Ferreira, le catalogue comme « archipélagique » parce que « Ses essais [et pas seulement] sortent de ce cadre plus restreint et appartiennent également à toutes les îles du Cap-Vert » [1].

Du Cap-Vert, et des premières années de formation de cet auteur, sa longévité lui a permis de participer à des mouvements culturels qui sont venus souligner l’identité cap-verdienne. Des « claridosos », associés à la revue Claridade (1936), à la génération des «  Certeza », identifiés à la revue Certeza (1944), Henrique Teixeira de Sousa est resté proche de l’évolution littéraire de l’archipel capverdien dans une attitude de construction de la culture et de l’identité du Cap-Vert.

Issu d’une époque où il a assisté et participé à la lutte pour la libération de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, sous la bannière du PAIGC (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), certaines de ses œuvres de référence témoignent de cette période agitée et d’incertitudes pour le futur de l’archipel qui, grâce à sa population, sa diaspora et son Histoire, n’était pas exactement frère de la Guinée-Bissau et se voyait plutôt dans une position intermédiaire entre l’Afrique et l’Europe : «  Au Cap-Vert, je crois pouvoir affirmer que le processus d’acculturation a abouti à l’épanouissement de nouvelles expressions de la culture, métisses […]; que dans l’archipel le Noir et le Mulâtre ont pu s’approprier des éléments de la civilisation européenne et les sentir comme les leurs » (Mariano, 1991 : 47).

            Tant sa vision historico-politique que sa sensibilité la plus attentive aux problèmes sociaux capverdiens (la faim, l’émigration) ont fait d’Henrique Teixeira de Sousa « un profond et fin analyste social » [2]. La reformulation de ces thèmes a fait s’affirmer la littérature capverdienne car il fallait « dépasser la phase folklorique ou régionaliste pour que nous ne restions pas enfermés dans un cercle restreint de thèmes plus qu’épuisés » (Laban, 1992 : 207).

Il est difficile de déterminer son chef-d’œuvre. Parmi les contes et les romans, nous en soulignons deux, en particulier, Contra mar e vento, son premier livre de contes, et Entre duas bandeiras, un roman historique, car des éléments formateurs du Cap-Vert sont présents, en tant qu’entité géographique, politique et culturelle.

Dans Entre duas bandeiras, étant proche de « la memoria politica » (Turano, 1997 : 1555), le débat lancé sur l’identité insulaire du Cap-Vert, qui n’accueille pas ou ne s’identifie pas à l’union guinéenne, est évident. Et, tout au long de l’ouvrage, l’auteur relève des éléments de nature civilisationnelle qui justifient la discussion par rapport à l’indépendance de l’archipel : « Con questo volume lo scrittore apre il dibattito su una questione delicata, quella del passaggio dei poteri dal vecchio regime coloniale al nuovo stato indipendente. Con la presa del potere del P.A.I.C.G. riemergono, attraverso la ‘finzione’ romanzesca, questione politiche che, forse, sarebbe interessante dibattere » (Turano, 1997 : 155). En tant que lecteurs, nous constatons une plus grande affinité avec l’idée d’une indépendance du Cap-Vert en dehors de la sphère de la Guinée-Bissau, qui se traduit par un pays insulaire avec une identité très propre entre deux continents construisant son sentiment. Ce point de vue est ouvertement assumé par Henrique Teixeira de Sousa lui-même : « Je ne voyais pas que cette unité [Cap-Vert/Guinée-Bissau] avait le moindre sens compte tenu de la disparité des valeurs culturelles entre les deux pays. Je l’ai combattue avec véhémence. Et l’Histoire m’a donné raison » (Laban, 1992 : 202).

            Parmi les oeuvres d’Henrique Teixeira de Sousa, il faut citer Contra mar e vento (1972), Ilhéu de contenda (1978), Capitão de Mar e Terra (1984), Xaguate (1987), Djunga (1990), Na Ribeira de Deus (1992), Entre duas Bandeiras (1994), Oh Mar das Túrbidas Vagas (2005). Ilhéu de contenda, Xaguate et Na Ribeira de Deus constituent une trilogie.   

Paulo César Vieira Figueira

[1] In « Interview avec Ondina Ferreira – H. Teixeira de Sousa é uma referência incontornável da nossa história cultural ». Accès numérique : https://terranova.cv/index.php/entrevista/6895-h-teixeira-de-sousa-e-uma-referencia-incontornavel-da-nossa-historia-cultural-ondina-ferreira.

[2] In « Interview avec Ondina Ferreira – H. Teixeira de Sousa é uma referência incontornável da nossa história cultural ». Accès numérique : https://terranova.cv/index.php/entrevista/6895-h-teixeira-de-sousa-e-uma-referencia-incontornavel-da-nossa-historia-cultural-ondina-ferreira.

Germano Almeida

Germano Almeida est né en 1945, sur l’île de Boavista, dans l’archipel du Cap-Vert. Boursier de la Fondation Calouste Gulbenkian, il est diplômé en droit de l’Université de Lisbonne. De retour au Cap-Vert, il exerce la profession d’avocat dans la ville de Mindelo, sur l’île de São Vicente, où il vit depuis 1979.

Il a été l’un des fondateurs de Ponto & Vírgula, qui avait pour objectif de donner aux écrivains des îles du Cap-Vert la possibilité de publier. Le magazine, sans ligne éditoriale engagée envers la politique et les idéologies, « nous [Germano Almeida, Leão Lopes et Rui Figueiredo] avons toujours dit que le magazine est pour les amis, les ennemis, les critiqueurs, les critiques et tous ceux qui veulent écrire pour lui » ( Laban, 1992 : 625), visant à montrer les écrits de l’intellectualité capverdienne, ce qui, selon les mots de Germano Almeida, s’est révélé vain : « [La revue] pourra, dans quelque temps, affirmer qu’elle a servi à démystifier, en quelque sorte, ce que presque tout le monde pense : au Cap-Vert, on produit beaucoup et il n’y a pas de moyens de publication » (Laban, 1992 : 621).

Cette revue est révélatrice de l’une des idées qui ont accompagné la pensée de Germano Almeida, amener la littérature capverdienne à un niveau de maturité qui s’éloigne de la description et se concentre sur la réflexion : « une littérature qui nous conduirait à l’analyse de l’homme capverdien – de la position même de l’homme capverdien dans la société, pour moi, surtout après l’Indépendance, jusqu’à présent, il n’y a rien eu à ce sujet » (Laban, 1992 : 631).

L’étape réflexive de la littérature capverdienne serait le point d’affirmation capital du Cap-Vert en tant que nation insulaire, l’îlot capverdien qui se rapproche géographiquement de l’Afrique, mais révèle une plus grande complicité avec le panorama social, politique et culturel européen : « Moi,  [Germano Almeida] je pense qu’il faut continuer à avoir le courage de s’affirmer en tant que Capverdiens liés, politiquement, disons, à une racine africaine, et aussi à une racine européenne, ce qui a donné ces deux cultures liées, donnant l’impression que c’était quelque chose de nouveau. » (Laban, 1992 : 676).

Le point de vue défendu par Germano Almeida devient central dans la déclaration suivante de l’auteur : « Nous [Cap-Verdiens et Portugais] avons de nombreux points communs, évidemment, surtout le Cap-Vert, qui est un pays fait par les Portugais. Mais les îles – non seulement leur orographie, mais surtout le manque de moyens de subsistance, le manque de pluie, surtout – ont fait de nous des gens différents » [1]. En ce qui concerne la lusophonie, parce qu’il y a un sentiment différent de l’insulaire capverdien et que la langue portugaise apparaît comme un instrument d’expression graphique pour les écrivains, Germano Almeida se considère comme un lusographe et non comme un lusophone : « Je n’aime pas trop l’expression Lusophonie. Nous sommes des écrivains de différents pays qui utilisons le Portugais comme langue de contact, comme langue d’expression, mais ce n’est pas une culture lusophone » [2].

La génération littéraire de Germano Almeida est soucieuse de réfléchir sur des thèmes qui vont au-delà de la simple description personnelle des différences existant dans les îles (la sécheresse, l’émigration et la situation politique postindépendance elle-même), dans le sens d’une réflexion sur la condition de l’homme capverdien et sa condition d’insulaire. Ainsi, Germano Almeida reflète le culte des îles et de la valeur de l’insularité chez les habitants de l’archipel capverdien, assumant cette condition de questionnement ontique et de découverte d’une voie mature pour la littérature capverdienne.

Le livre par lequel il s’est fait connaître est O testamento do sr. Napumoceno da Silva Araújo, adapté au cinéma. La vie de Napumoceno est un ensemble de péripéties qui se concentre sur l’identité capverdienne et subtilement sur la réflexion à propos de sa matrice insulaire. Entre humour et ironie, Germano Almeida cherche en Napumoceno une réflexion sur la vie d’un pauvre de S. Nicolau qui devient un marchand respecté à Mindelo, mais qui interroge le lecteur sur la vie dans les îles, l’indépendance et la non-union avec la Guinée, « Ils proclamaient la nécessité de créer une force capable de s’opposer à ceux qui venaient de Guinée » (Almeida, 1997 : 44),  la pauvreté,  la diaspora, « Je trouve toujours dommage que l’Amérique lointaine persiste à nous voler d’excellentes épouses et de futures mères » (Almeida, 1997 : 63), les liens avec le Portugal et l’Europe, et la condition d’insulaire, « La vérité, cependant, c’est qu’il préférait s’enfermer chez lui plutôt que de rédiger le testament de sa vie parce qu’il ne se reconnaissait plus dans cette intolérance si contraire à la façon d’être de l’insulaire » (Almeida, 1997 : 45). À sa mort, Napumoceno, « Je pensais qu’il dormait encore et ce n’est qu’en ouvrant la fenêtre que j’ai vu qu’il dormait du sommeil des anges » (Almeida, 1997 : 167), a laissé un testament qui, à la « 150ème page » (Almeida, 1997 : 7), est désormais lu par Américo Fonseca, car il semblait que le défunt « eût plutôt écrit un livre de mémoires » (Almeida, 1997 : 7).

L’auteur a publié les oeuvres suivantes : O testamento do sr. Napumoceno da Silva Araújo (1989), O dia das calças roladas (1992), O meu poeta (1990), A Ilha Fantástica (1994), Os dois irmãos (1995), Estórias de dentro de casa (1996), A morte do meu poeta (1998), A família Trago (1998), Estórias contadas (1998), Dona Pura e os camaradas de Abril (1999), As memórias de um espírito (2001), Cabo Verde – Viagem pela história das ilhas (2003), O mar na Lajinha (2004), Eva (2006), A morte do ouvidor (2010), De Monte Cara vê-se o mundo (2014), O Fiel Defunto (2018), O último mugido (2020) et A confissão e a culpa (2021).

En 2018, Germano Almeida a reçu le prix littéraire le plus distingué pour les auteurs de langue portugaise, le Prix Camões.

Paulo César Vieira Figueira


[1] In « L’écrivain capverdien Germano Almeida n’aime pas l’expression ‘lusophonie’ ». Accès numérique : https://observador.pt/2021/10/27/escritor-cabo-verdiano-germano-almeida-nao-gosta-da-expressao-lusofonia/.

[2] In « L’écrivain capverdien Germano Almeida n’aime pas l’expression ‘lusophonie’ ». Accès numérique : https://observador.pt/2021/10/27/escritor-cabo-verdiano-germano-almeida-nao-gosta-da-expressao-lusofonia/.

João de Melo

Né dans la paroisse d’Achadinha, municipalité de Nordeste, à São Miguel, Açores, le 4 février 1949, João Manuel de Melo Pacheco est l’un des représentants les plus reconnus de l’insularité açorienne.
À l’âge de 11 ans, il part vivre sur le continent portugais où il poursuit ses études au Séminaire des Dominicains, à Fátima. Il finit par en être expulsé, pour des raisons religieuses et politiques. Il s’installe alors à Lisbonne où il commence à publier des nouvelles dans les journaux Diário Popular et Diário de Lisboa. À cette époque, il collabore également avec la génération « Glacial », homonyme du supplément littéraire, Glacial – União das Letras e das Artes, du journal A União, dont le siège est à Angra do Heroísmo, sur l’île Terceira. Açores.
La Guerre Coloniale est l’une des étapes déterminantes de sa biographie et il effectue son service militaire (grade de « furriel » et infirmier) en Angola. Outre son enfance, la Guerre d’Outre-mer marque le récit de João de Melo, avec, par exemple, Autópsia de um mar de ruínas (1984).
Après la révolution du 25 avril, João de Melo obtient une licence en Philologie Romane à la Faculté des lettres de l’Université de Lisbonne, une période qu’il considère comme décisive dans sa formation d’écrivain : « Après avoir fréquenté la Faculté des lettres, une révolution littéraire a eu lieu dans ma tête, dans mon esprit. J’ai changé de langage. C’est dans cette phase que je me trouve : j’essaie d’harmoniser l’inclination narrative maximale avec l’expression poétique du récit » (Besse, 2019 : 155).
Selon l’aspect insulaire de certains récits de João de Melo, nous ne pouvons pas négliger l’aspect açorien. Onesimo Teotónio Almeida fait référence à ce concept, « insistant sur le fait que l’Açoréanité est l’Açoréanité de chacun. Bien qu’il existe des éléments communs à la plupart des Açoriens […] à différents degrés d’intensité » (Almeida, 2007 : 26), c’est-à-dire que le sentiment différent des îles n’empêche pas l’Açoréanité de se combiner à un sentiment insulaire qui suppose un ensemble d’éléments cristallisant le sentiment açorien. Si l’on prend comme base les exemples de A divina miséria et Gente feliz com lágrimas, il y a une exploration d’un sentiment particulier par rapport aux îles de Terceira et de São Miguel, respectivement, mais qui se conjuguent dans un concept supérieur impliquant l’archipel : « J’ai vu mon île se dépeupler de personnes qui, tous les jours, partaient pour l’Amérique. […]. C’est l’histoire de ma propre famille » (Besse, 2019 : 155).

Dans ses écrits, João de Melo souligne la distinction entre l’aspect insulaire et l’aspect régionaliste, considérant que ses récits ne doivent pas être considérés comme régionalistes au sens strict du concept, malgré le fait que les Açores soient le centre de l’universalité humaine présente dans son œuvre : « Mon écriture ne peut donc pas être considérée comme expressivement « régionaliste ». […]. J’ai fait des Açores ma place dans le monde : ce monde réel et symbolique que j’ose appeler l’universalité de la condition humaine » (Besse, 2019 : 154). Nous pouvons donc considérer que la prose de João de Melo « est avant tout un récit fictif non seulement d’une génération, mais de tous ceux qui, pendant un siècle, ont vécu leur tragédie et ont tenté de récupérer ce qui leur restait de leur humanité face aux forces [ …] de ce monde et de l’autre» (Freitas, 1998 : 119), à travers «une errance et des retrouvailles, des mythologies et des symboles bibliques et historiques » (Freitas, 1998 : 119).
Bien que João de Melo soit l’auteur de plusieurs récits de référence, Gente Feliz com Lágrimas est peut-être le plus connu, ayant été adapté pour le théâtre et la télévision. Nous pensons que le roman rassemble les principales provocations de l’œuvre de l’auteur dans son ensemble, l’insularité, l’enfance, l’émigration, la mémoire, en plus de la guerre, car « Une blessure ou une simple douleur dans le regard, voilà ce qui peut définir tout ce qui reste d’un homme, de son monde perdu et d’un temps présent qui reste encore à inventer. Rien que pour cette raison, cela avait déjà valu la peine pour lui de venir dans cette maison des Açores » (Melo, 1988 : 479).
Nous croyons que l’opinion de Vamberto Freitas s’applique à João de Melo, en tant qu’auteur qui nous transporte à travers les différentes étapes des voyages humains, auxquels nous nous identifions, en tant que lecteurs, du point de vue individuel et collectif : « Ce n’est qu’à travers l’errance de ses narrateurs que pourrait venir jusqu’à nous cette incomparable vision globalisante des tribulations de l’homme moderne » (Freitas, 1998 : 121). Une errance définie par João de Melo dans la prise de conscience de la formule île/mer : « C’est dans mon enfance, face à la mer des Açores, que l’opposition île/Monde a toujours eu un sens. Mais, en elle, une évidence définitive a surgi : les îles sont de petits continents ; les continents ne sont rien d’autre que de très grandes îles » (Melo, 2001 : 119).
Dans sa bibliographie, nous soulignons : A divina miséria, Gente feliz com lágrimas, Autópsia de um mar em ruínas, O meu mundo não é deste reino, O mar de Madrid, As coisas da alma, Os anos da guerra, Dicionário das paixões, Bem-aventuranças.
La reconnaissance de son œuvre s’est matérialisée par des prix tels que : Grand Prix de l’Association Portugaise des Ecrivains, Prix Eça de Queiroz/Cidade de Lisboa, Prix Christophe Colomb (Capitales ibéro-américaines), Prix Fernando Namora/Casino d’Estoril, Prix Antena 1, Prix « A Balada » et Prix Dinis da Luz. En 2021, il remporte le Prix littéraire Urbano Tavares Rodrigues, avec Livro de vozes e sombras. Le Gouvernement Portugais a également reconnu la pertinence intellectuelle de João de Melo en l’invitant à être attaché culturel à l’ambassade à Madrid et en lui décernant la Médaille du Mérite Culturel.

Paulo César Vieira Figueira

João dos Reis Gomes

João dos Reis Gomes était un militaire madérien qui s’est démarqué, dans la société de son temps, en tant qu’auteur dans des domaines tels que le journalisme, le théâtre, l’histoire, le roman, la philosophie, la musique et le cinéma. Sa formation intellectuelle est imprégnée de la période de transition entre le XIXème siècle et le début du XXème siècle, marquée par la vague d’événements qui ont eu lieu sur le Continent portugais et à Madère.

Né à Funchal, le 5 janvier 1869, où il est mort le 21 janvier 1950, il était connu sous le nom de Major João dos Reis Gomes (comme si son grade était associé à son nom) et reconnu comme professeur, écrivain et essayiste consacré, membre de plusieurs académies, comme l’Académie des Sciences de Lisbonne, et fondateur de la délégation de la Société Historique de l’Indépendance du Portugal, à Funchal. Il a presque toujours opté pour une action dans le domaine de l’intellectualité et non pas tant en termes d’exposition politique. Il a dirigé deux journaux, Heraldo da Madeira et Diário da Madeira, qui défendaient une vision régionaliste, autonomique et conservatrice, bien qu’imprégnée d’un esprit patriotique.

Personnalité faisant partie d’une génération luttant pour une meilleure autonomie de Madère, au début du XXème siècle, l’aspect insulaire, que ce soit en recourant à des thèmes chers au folklore madérien, ou à l’Histoire, fait de Reis Gomes l’un des responsables de la construction d’une identité madérienne.

Son action, liée à une perspective d’insularité fondée sur l’autonomie et le régionalisme, l’a conduit à des débats sur des questions relatives à Madère avec la création de la « tertúlia » (assemblée littéraire) « Cenáculo », la participation à la Commission d’Etude des Bases de l’Autonomie de Madère et la célébration du 500ème anniversaire de Madère, entre décembre 1922 et janvier 1923.

En tant qu’homme aux multiples facettes dans le domaine de l’écriture, nous nous intéressons particulièrement au dramaturge et au romancier, bien qu’il ait également publié des recueils de contes. Nous pensons que c’est principalement dans A filha de Tristão das Damas, O anel do imperador, O cavaleiro de Santa Catarina et Guiomar Teixeira, que nous pouvons entrevoir le lien de son écriture avec l’île et le souci de l’identité madérienne.

L’un des bons exemples de ce lien insulaire qui a guidé l’écriture littéraire de João dos Reis Gomes est le drame historique Guiomar Teixeira, adapté du roman historique A filha de Tristão das Damas, et qui réunit les attributs d’une identification insulaire et d’un cri identitaire. Cette pièce de théâtre est connue pour être considérée comme la première, au monde, à combiner, dans sa représentation, l’art théâtral et l’art cinématographique, ce mérite étant attribué au Major[1].

Dans le drame, comme dans le roman historique, le centre d’action est l’aide madérienne fournie par le donataire Simão da Câmara à la prise de Safi, sous le règne du roi Manuel I. Dans une subtile analogie avec la situation vécue à Madère pendant l’autonomie administrative de 1901, Reis Gomes cite l’exemple de la conquête de la place marocaine comme un moyen d’exposer qu’une meilleure autonomie se traduirait par une meilleure région et, par conséquent, un meilleur pays.

Afin de comprendre les intentions identitaires de Madère et de protestation contre la situation politique de l’archipel, la commission du Cinquième Centenaire a choisi comme représentation la pièce Guiomar Teixeira, ce qui nous semble une claire allusion à la divulgation du territoire insulaire. Les acteurs principaux étaient Sofia de Figueiredo, dans le rôle de Guiomar Teixeira, et João dos Reis Gomes, dans le rôle de Christophe Colomb.

De par son action, nous pouvons considérer João dos Reis Gomes comme l’un des bâtisseurs de la mémoire culturelle madérienne, en ce sens que la production littéraire de l’auteur « établit (un lien) entre hier et aujourd’hui, modelant et actualisant continuellement les expériences et les images d’un passé dans le présent, comme une mémoire générant un horizon d’espoirs et de continuité » (Antunes, 2019 : 204). Mêlée au concept de mémoire culturelle, nous trouvons la « madeirensidade » (« madériénité »), au sens où « La littérature, par exemple, contribue à la construction de la Madeirensidade », mais, en même temps, c’est aussi son devenir qui favorise l’émergence, l’affirmation et le développement de ce que nous pouvons désigner comme littérature madérienne » (Rodrigues, 2015 : 167).

À la fin du journal sur le voyage madérien de 1926, dans l’original Através da França, Suíça e Itália – Diário de Viagem, le major João dos Reis Gomes exprimait le sentiment de nostalgie par rapport à Madère, « Je suis nostalgique […]. Par moment, devant la vue de la petite terre [Madère], le souvenir de cette existence d’une beauté si grande et si variée que je viens de vivre, fiévreusement, disparaît de ma mémoire » (Reis Gomes, 2020 : 223), ce qui nous semble une déclaration d’appartenance géographique et culturelle chère à de nombreux Madériens.

Dans l’oeuvre de João dos Reis Gomes, nous soulignons : O Theatro e o Actor (1ª ed., 1905, 2ª ed., 1916), Histórias Simples (1907), A Filha de Tristão das Damas (1ª ed., 1909, 2ª ed., 1946, 3ª ed., 1962), Guiomar Teixeira (1ª ed., 1914)[2], A Música e o Teatro (1919), Forças Psíquicas (1925), O Belo Natural e Artístico (1928), Figuras de Teatro (1928), Através da França, Suíça e Itália – Diário de Viagem (1929), Três Capitais de Espanha: Burgos, Toledo, Sevilha (1931), O Anel do Imperador (1934), Natais (1935), O Vinho da Madeira (1937), Casas Madeirenses (1937), O Cavaleiro de Santa Catarina (1941), De Bom Humor… (1942), A Lenda de Loreley – Contada por um Latino (1948), Através da Alemanha – Notas de Viagem (1949) et Viagens (2020)[3].

Paulo César Vieira Figueira

[1] Le drame a été traduit en Italien par Virgilio Biondi, La Figlia del Vice-Ré, et a été joué par la compagnie italienne Vitaliani-Duse, en 1914, au Théâtre Municipal de Funchal.

[2] Guiomar Teixeira, outre la version italienne, a eu trois éditions.

[3] Selon Luís Marino, dans Panorama Literário do Arquipélago da Madeira, p. 67, nous devons ajouter à cette liste No Laboratório, Psychologia e Pathologia Cerebral (1899), écrit par João dos Reis Gomes, sous le pseudonyme de J. Règinard.

José Agostinho Baptista

« Pour toi je suis arrivé et je pars. /Ma maison est là où tu es » (Baptista, 1992 : 9). Chez José Agostinho Baptista, la dimension du lieu-île s’ouvre, à travers des énigmes personnelles, au monde du lecteur. À vocation insulaire – physique et spirituelle – le sujet se présente comme une géographie errante, mesurée par les montagnes, la mer ou le silence de la Madère primordiale. L’île se déplace comme une maison à travers d’autres mosaïques géographiques.
D’un caractère mnémotechnique accentué, le départ et l’arrivée de cette poésie seront toujours ce lieu idyllique, entre les romantiques « locus amoenus » et « locus horribilis », cohabité par la mer, par le père, par l’amour et, surtout, par le sujet-île, au sens d’un non-lieu, devenu le lieu « où tu es ». Le processus d’écriture de José Agostinho Baptista, avec une tendance à la récupération d’un modèle romantique, « n’est pas seulement le processus du sentiment ou de la mémoire, c’est le processus d’écriture elle-même qui se constitue en livre » (Magalhães, 1989 : 256).


Né à Funchal (le 15 août 1948), José Agostinho Baptista est reconnu comme l’un des poètes portugais les plus importants de sa génération. Pendant une longue période de sa vie, il a vécu à Lisbonne et a été traducteur d’auteurs incontournables, tels que W. B. Yeats ou Walt Whitman, et journaliste dans différentes rédactions de la presse de la capitale portugaise, A República et Diário de Lisboa. Auparavant, il avait collaboré avec le journal Comércio do Funchal. Il y a quelque temps, il est retourné à Madère.


Aborder José Agostinho Baptista oblige à parler de sa relation tellurique avec Madère, rarement harmonieuse, mais, en même temps, d’une évidente dépendance. Nous pensons que l’île est le chemin d’une poétique marquée par la recherche/épiphanie de l’identité du sujet, pleine de sa marque insulaire, la pulsion tellurique. Il existe une claire identification sujet poétique/île avec un voyage initiatique à travers la nostalgie d’un amour primordial, pur et souffrant.


Pour Ana Margarida Falcão Seixas, José Agostinho Baptista révèle une forte présence de la nostalgie dans son écriture qui «raconte, en divers épisodes et dans différentes dimensions narratives, l’exil d’un sujet en lui-même, corps et esprit déployés en de multiples variantes qui sacralisent le rêve, la rêverie et les vestiges du passé, fournissant l’énonciation de représentations essentiellement en termes d’absence» (Seixas, 2003 : 398), ce qui combiné à la dimension tellurique révèle le sentiment insulaire. La pulsion tellurique, verbalisée dans l’ajustement sentimental entre sujet et île, « Il était une île, le basalte sans fin » (Baptista, 1992 : 19), dimensionne la perspective de l’insularité dans des thèmes chers à la littérature portugaise, tels que l’exil, l’amour non partagé, la folie/rêverie, la nostalgie et la mémoire.


La figure du père, lié à la mémoire de l’île primordiale, est aussi un autre leitmotiv, comme c’est le cas de Agora e na hora da nossa morte, « Personne ne fait taire les fleuves orageux au fond/de mes yeux, /quand je pense aux vers, aux viscosités/qui te cherchent à travers le satin » (Baptista, 1998 : 102), une longue (non-)prière jusqu’au « Amen » final, ou dans des poèmes comme « Memória », dans Deste lado onde.


D’autres terres prennent le visage de cette île primordiale, la plus significative étant le Mexique : « Le Mexique, qui se caractérise par son essence la plus pérenne, ses dieux, ses tatouages parallèles qui, dans l’univers symbolique et métaphorique du Moi, configurent cette nouvelle terre des pères, un vaste sol de la patrie, où le Moi déploie son imaginaire, dans la perspective romantique de l’immensité et de la recréation de l’originalité de l’île première » [1].


José Tolentino Mendonça parle de la poésie de José Agostinho Baptista comme fondamentale pour comprendre Madère, « la rugosité de son temps, le ravissement démesuré du paysage, les rivières infatigables, le mystère des fruits, la vérité impuissante de son silence » [2], parce que cette « île, c’est toute la terre. Et, dans le sombre secret de son nom, elle recèle la plus significative des ambivalences » .


Parmi les livres de José Agostinho Baptista, nous soulignons : Deste lado onde (1976), O último romântico (1981), Morrer no sul (1983), Autoretrato (1986), O centro do universo (1989), Paixão e cinzas (1992), Canções da terra distante (1994), Debaixo do azul sobre o vulcão (1995), Agora e na hora da nossa morte (1998), Biografia (2000), Afectos (2002), Anjos caídos (2003), Esta voz é quase vento (2004), Quatro luas (2006), Filho pródigo (2008), O pai, a mãe e o silêncio dos irmãos (2009) et Caminharei pelo vale da sombra (2011).
La reconnaissance médiatique de son œuvre comprend des distinctions telles que : Grand Officier de l’Ordre de l’Infant D. Henrique (2001 – Présidence de la République) et la Médaille de Distinction décernée lors de la Journée de la Région Autonome de Madère (2015 – Gouvernement Régional de Madère). D’autres prix méritent d’être mentionnés, comme le Pen Club de Poésie (2003), pour Anjos Caídos, et le Grand Prix de Poésie CTT – Correios de Portugal (2004), pour Esta Voz é Quase o Vento.

[1] Paulo Figueira (2020). José Agostinho Baptista, « le sentiment de soi ». In TRANSLOCAL. Culturas Contemporâneas Locais e Urbanas, nº 5. Accès numérique : https://translocal.cm-funchal.pt/wp-content/uploads/2019/05/JoseAgostinhoBaptista-le-sentiment-de-soit5.pdf. Vd. José Agostinho Baptista, Debaixo do azul sobre o vulcão.

[2] José Tolentino Mendonça, « Um sopro, uma leve pancada no coração », in A Phala nº 81. Accès numérique : https://joseagostinhobaptista.com/a-phala.html.

Paulo César Vieira Figueira

José Tolentino Mendonça

Le poète-île qui conjugue l’enfance insulaire, les vicissitudes îliennes, la maturité d’une pensée qui interroge l’existence humaine devant ce lieu sacré, l’île physique au milieu de l’Atlantique, se présente dans Os dias contados : « Au commencement était l’île /bien qu’il soit dit/l’Esprit de Dieu/embrassait les eaux » (Mendonça, 1990 : 9).
Né à Machico, Madère (le 15 décembre 1965), ayant passé une partie de son enfance en Angola, José Tolentino Mendonça s’est distingué dans la littérature et la vie ecclésiastique. À propos de sa formation, il faut souligner ses études en Sciences Bibliques (Rome) et un doctorat en Théologie à l’Université Catholique Portugaise, où il a occupé le poste de vice-recteur et dirigé le Centre de Recherche en Théologie et Études de Religion.
Sa pensée s’est affirmée sur la scène internationale puisqu’il a été reconnu par le Vatican comme consultant auprès du Conseil Pontifical de la Culture. Dans l’exposition « Lo splendore della verità, la bellezza della carità » (« La splendeur de la vérité, la beauté de la charité »), commémorant le 60ème anniversaire de l’ordination de Benoît XVI, en 2011, Tolentino Mendonça a remis à l’Évêque de Rome le poème « O Mistério está todo na infância » (Le Mystère est tout entier dans l’enfance).
En 2018, le pape François a nommé le prêtre madérien pour diriger la retraite spirituelle du Carême, organisant la réflexion « O elogio da sede » (L’éloge de la soif), qui donnera lieu à l’œuvre homonyme O elogio da sede. Cette année-là, il est nommé Archiviste et Bibliothécaire de la Sainte Église Romaine et ordonné évêque.
Le 5 octobre 2019, le pape François a présidé le Consistoire qui a nommé 10 nouveaux cardinaux, conformément à la vocation missionnaire de l’Église. Parmi eux, Tolentino Mendonça. Déjà cardinal, en 2021, il a été nommé par le Souverain Pontife membre de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, qui accompagne la vie des communautés catholiques dans les pays dits de mission.
La production écrite de José Tolentino Mendonça se divise en celle de l’essayiste, liée à sa vocation de théologien et de penseur sur des thèmes et des textes de tradition religieuse – et au-delà – et celle du poète, dans laquelle son lien avec la mémoire, l’enfance, l’île et l’interrogation de l’être devant le monde contemplé devient incontournable.
Dans le profil du penseur essayiste, comme traducteur, réviseur et commentateur de textes, José Tolentino Mendonça participe au projet Bíblia Ilustrada (Assírio & Alvim). La perspective du penseur est très explicite dans l’introduction de la traduction de l’Hébreu du Cantique des Cantiques, illustrée par Ilda David (1997, 1ère édition). Dans l’introduction, José Tolentino Mendonça nous avertit de la pleine humilité intellectuelle et ontique de sa pensée : « Et c’est parce que nous n’avons pas peur d’énoncer le sens des mots que nous pouvons nous ouvrir à la révélation eschatologique du silence gardé en eux. Le silence de Dieu » (Mendonça, 1999 : 14).
En tant que poète, José Tolentino Mendonça est, selon la critique, l’une des voix les plus originales de la littérature portugaise actuelle. Ana Margarida Falcão Seixas soutient que Tolentino Mendonça donne au lecteur une aura mystique dans laquelle « le sujet conserve le statut d’élément intermédiaire entre le divin et le monde, mais presque toujours vu à travers une voix qui s’élève dans une question, dans une quête » (Seixas, 2003 : 418). Sa poétique s’achève autour d’interrogations, dont le motif pourra « provenir à la fois de l’évocation d’un personnage ou d’un épisode biblique et du récit de souvenirs de la pureté perdue de l’enfance presque immaculée, ainsi que du questionnement sur des épisodes de la vie quotidienne » (Seixas, 2003 : 418-9), auquel s’ajoute l’aspect insulaire, où se diffuse son sentiment poétique. Facilitée par la mémoire, la remémoration des lieux insulaires abrite, dans le souvenir subtil de l’île, la contemplation d’un lieu qui construit l’humilité intellectuelle et ontique : « L’intertextualité de sa poésie avec les écritures sacrées ne rend pas secondaire la présence de la sensualité mystique et de la réflexion sur la vie quotidienne, évoquant souvent subtilement la nostalgie de la terre natale » (Falcão, 2011 : 112).
La rencontre entre la pensée essayistique, poétique et la pulsation humaine se matérialise dans la strophe suivante de « O Mistério está todo na infância » (Le Mystère est tout entier dans l’enfance) : « Le mystère est tout entier dans l’enfance [l’île physique et spirituelle, l’île atlantique, dont la représentation est le sujet] :/il faut que l’homme suive/ce qu’il y a de plus lumineux/à la manière de l’enfant futur » [1]

Dans la bibliographie, parmi des essais et des titres poétiques, nous soulignons : Um Deus que dança, Rezar de olhos abertos, O que é amar um país, A construção de Jesus, A mística do instante, Histórias escolhidas da Bíblia, Os Dias Contados, Longe não sabia, Estrada branca, Estação central ou A papoila e o monge.
La distinction de José Tolentino Mendonça est également attestée par les prix nationaux et internationaux : Cidade de Lisboa de Poesia (1998), PEN Clube de l’Essai (2005), Res Magnae, pour les œuvres essayistes (2015), Grand Prix de Poésie Teixeira de Pascoaes APE (2015), Grand Prix APE de Crónica (2016) et le prestigieux Capri-San Michele (2017).

Paulo César Vieira Figueira

[1] In « O mistério está todo na infância »: poème de José Tolentino Mendonça pour Benoît XVI. In Secretariado Nacional da Pastoral da Cultura. Accès numérique : https://www.snpcultura.org/o_misterio_esta_todo_na_infancia_poema_jose_tolentino_mendonca_bento_xvi.html.